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L’une des nouveautés fondamentales du droit financier suisse de ces dernières années est l’entrée en vigueur de la Loi sur les services financiers (LSFIN) et de son ordonnance d’application, au 1er janvier 2020. Dans ce commentaire, nous allons expliquer l’obligation pour les prestataires de services financiers, de classer leurs clients.
Selon l’art. 4 LSFIN, les prestataires doivent classer leurs clients dans l’une des catégories suivantes: clients privés, professionnels ou institutionnels. Les institutionnels sont les institutions surveillées par l’Etat tels que banques, assurances, banques centrales ou institutions étrangères similaires. Les professionnels sont les institutionnels ainsi que notamment les institutions de prévoyance, les entreprises et les family offices bénéficiant d’une gestion de trésorerie professionnelle et les grandes entreprises (i.e. dépassant les seuils de l’art. 4 al. 5 LSFIN). Enfin, les clients privés sont tous les non-professionnels.
S’agissant de l’équivalence selon un droit étranger, les Commentaires du DFF ad art. 4 OSFIN (p. 23) indiquent qu’un prestataire donné peut procéder à une segmentation analogue à celle de la LSFIN sans explication supplémentaire et détermine sous sa propre responsabilité si une segmentation effectuée en vertu d’une réglementation étrangère est équivalente. Il sera intéressant de découvrir la pratique en matière d’équivalence de l’industrie et de la FINMA.
S’il existe plusieurs clients avec droit de disposition sur le même patrimoine (p. ex. compte joint, hoirie), ceux-ci doivent être classés en totalité dans la catégorie offrant la protection la plus étendue. De plus, sous réserve d’un accord avec le prestataire de services financiers, les clients agissant au travers d’un représentant peuvent être classé dans la catégorie correspondant aux connaissances et à l’expérience du représentant (art. 4 OSFIN).
Les clients privés fortunés (minimum de 2 mio de CHF de fortune ou de 500’000 CHF et connaissance et expérience des placements) et leurs structures d’investissement (Personal investment companies) peuvent faire un opting-out et ainsi demander à être considérés comme clients professionnels (art. 5 al.1 OSFIN). Ceci est repris sur le principe de la Loi sur les placements collectifs. Selon le Message du Conseil fédéral relatif à la LSFIN (p.8149), le prestataire doit indiquer aux clients qu’ils doivent l’informer de tout changement; si cela survient, le prestataire doit vérifier si les clients peuvent être toujours considérés comme professionnels.
Par ailleurs, certains clients peuvent demander à être traités comme des institutionnels. Les professionnels non institutionnels peuvent faire l’opting-in, c.-à-d. demander à être traités comme des clients privés. Enfin, les institutionnels peuvent requérir à être traités comme des professionnels (art. 5 al. 5 et 6 LSFIN).
Tout changement du segment de clientèle requiert une déclaration du client en la forme écrite ou toute autre forme permettant d’établir la preuve par texte, soit permettant de fournir une preuve rédigée tels que des courriels (art. 5 al. 8 LSFIN et Message du CF y afférent (p.8150)).
Les conséquences de la classification des clients sont très importantes pour les clients et pour les prestataires. En effet, la classification détermine à quels standards de protection les prestataires sont tenus. Le législateur ayant jugé que les clients ayant le plus besoin de protection sont les clients privés, puis les professionnels, et enfin les institutionnels, n’ayant quasiment aucun besoin de protection
S’agissant des conséquences de la segmentation, en résumé, selon l’art. 13 LSFIN, sur la vérification (suitability and appropriateness) des services financiers fournis, les prestataires peuvent considérer que les professionnels disposent des connaissances et de l’expérience requises et qu’ils peuvent assumer les risques. Selon l’art 20 LSFIN, les règles de comportement de la LSFIN ne s’appliquent pas aux prestataires lorsqu’ils servent des institutionnels. De plus, les obligations d’information et de documentation ne s’appliquent pas dans les relations avec les clients professionnels si ces derniers y ont renoncé expressément. Les prestataires étrangers peuvent être dispensés d’enregistrer leurs conseillers à la clientèle si les services sont exclusivement fournis à des professionnels ou des institutionnels (arts 28 al.2 LSFIN et 31 OSFIN). L’obligation de prospectus tombe si une offre au public de valeurs mobilières est destinée uniquement à des professionnels (art. 36 al. 1 LSFIN). De façon similaire, l’obligation pour le producteur d’instruments financiers d’éditer une feuille d’information de base (KIID) ne s’applique pas si l’offre vise des clients professionnels (art. 58 al. 1 LSFIN a contrario).
En conséquence de l’art. 4 LSFIN, les assujettis devront effectuer la classification de leurs clients de façon détaillée et la maintenir à jour, et ceci dans la limite du délai transitoire soit deux ans à compter du 1er janvier 2020 en application de l’art. 103 OSFIN.
Il est aisé d’imaginer que des prestataires trouveront avantage à ce que le plus grand nombre de leurs clients soient considérés professionnels vu les exemptions susmentionnées et la possibilité d’offrir des produits plus complexes. Une autre question intéressante pour l’instant ouverte sera de voir l’effet des règles de comportement sur les litiges civils, par exemple découlant d’une classification des clients erronée. En effet le Message du CF (p. 8121) indique clairement que les règles de comportement de la LSFIN n’interfèrent pas directement dans la relation de droit privé entre un prestataire et ses clients; il conviendra de voir comment les tribunaux interprèteront cette intention du législateur.
Nous sommes à disposition pour toute question concernant ce qui précède (CV Eric Favre).