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Les jours de la convention franco-suisse contre la double-imposition des successions seraient-ils comptés? La convention existante, datant de 1953, risque d’être très prochainement résiliée par la France si les deux pays ne concluent pas une nouvelle convention pour la remplacer. En 2012, le Conseil fédéral avait déjà signé une nouvelle convention, que le Parlement avait cependant refusé de ratifier, jugeant ses conditions inacceptables. Une année plus tard environ, le Conseil fédéral revient à la charge en signant début juillet 2013 une nouvelle convention de double-imposition sur les successions avec la France, qui attire déjà de nombreuses critiques en Suisse et risque de subir le même sort.
Il est aujourd’hui possible que la France, lassée d’un nouveau refus du Parlement suisse, choisisse de résilier la convention de 1953 actuellement en vigueur, laissant de facto un vide juridique en matière de double imposition fiscale entre la France et la Suisse dans le cadre d’une succession.
La nouvelle convention introduirait trois modifications majeures, à savoir:
a) Domicile des héritiers
Selon la nouvelle convention, les héritiers et légataires d’un défunt domicilié sur territoire Suisse seront imposés en France s’ils y sont domiciliés depuis plus de huit ans sur les dix années précédant la réception des biens. Ceci pose problème en particulier si la succession comporte des biens immobiliers sis en Suisse: à l’heure actuelle, la transmission par héritage d’un immeuble n’est soumise à l’impôt que dans les cantons suisses où le bien est situé. Ainsi, si la succession se fait en ligne directe (typiquement, de parent à enfant), aucun impôt n’est généralement prélevé (sauf quelques exceptions dans certains cantons, comme les cantons de Vaud ou de Neuchâtel, qui prévoient toutefois une franchise allant de CHF 50’000 à CHF 250’000 et des taux relativement bas d’environ 3% au maximum en ligne directe). En revanche, le droit fiscal français prévoit un barème d’imposition qui peut aller jusqu’à 45% de la valeur du bien hérité en ligne directe. En l’absence d’impôt sur la succession en Suisse, il ne sera pas possible d’obtenir une quelconque déduction sur l’impôt prélevé par la France. Aussi, en cas d’adoption de la nouvelle convention, la transmission en ligne directe d’un bien sis en Suisse pourrait potentiellement être taxée jusqu’à 45% de sa valeur, au lieu du taux zéro actuellement applicable, avec la possibilité de voir les héritiers contraints de vendre le bien reçu car dans l’impossibilité de payer les droits de succession. L’on notera enfin que le fait de taxer dans un Etat un immeuble situé dans un autre Etat est contraire au modèle OCDE en matière de convention de double imposition sur les successions.
b) Sociétés immobilières
La nouvelle convention met également sur un pied d’égalité les héritiers de biens immobiliers et les personnes héritant d’une participation dans une société immobilière, en prévoyant que les immeubles détenus indirectement au travers d’une telle société sont imposables au lieu de leur situation. Il faut cependant pour cela que la société soit détenue à hauteur de 50% au moins par le défunt ou par sa famille et que les biens immobiliers représentent plus du tiers de ses actifs. Les actions seront alors imposables au lieu de situation des biens. Ainsi, lors du décès d’une personne résidant en Suisse et possédant un immeuble en France par le biais d’une société immobilière, celui-ci sera imposé par le fisc français. Cette règle vise à combler une lacune de la loi, qui permettait d’échapper à l’impôt sur les successions par le biais d’une société immobilière.
c) Meubles corporels
Le dernier changement concerne les biens meubles. Avec la nouvelle convention, les biens meubles corporels de valeur situés en France, tels que lingots d’or, bijoux ou pierres précieuses, mais appartenant à des personnes domiciliées en Suisse, seraient désormais également imposés par le fisc français. Jusqu’à maintenant, seuls les meubles “meublants” (tables, lits, tableaux etc.) étaient imposables.
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Le texte de la nouvelle convention franco-suisse sur l’imposition des successions, hautement controversée, met le doigt sur un problème très sensible. En effet, c’est en France que réside le plus grand nombre de Suisses à l’étranger (plus de 180’000 en 2012). Dans la région de Genève, la situation pourrait s’avérer particulièrement problématique au vu du nombre important de citoyens suisses s’étant établis dans les zones françaises limitrophes. S’ils devaient hériter à l’avenir d’immeubles situés en Suisse, il est évident que leur situation serait nettement péjorée si cette convention devait être adoptée. De plus, ce type de convention présente un risque de précédent, car cela pourrait à l’avenir inspirer d’autres Etats limitrophes à la Suisse pour imposer des conventions similaires. Enfin, il sied de rappeler que, en tout état de cause, la Suisse n’a conclu, entre 1951 et 1979, qu’une dizaine de conventions de double imposition en matière de successions et qu’un hypothétique vide juridique causé par la résiliation par la France de la convention actuelle ne serait pas une exception dans le paysage juridique suisse.
Pour toutes ces raisons, il est hautement probable que cette convention ne soit jamais ratifiée par le Parlement ou que, si tel devait être le cas, un référendum soit déposé pour s’y opposer.