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Le rappel d’impôt peut être ouvert à l’initiative de l’Administration ou lors d’une dénonciation spontanée. Les procédures de rappel d’impôt ont donc été beaucoup plus nombreuses ces dernières années en raison des régularisations fiscales de contribuables anticipant les effets des accords internationaux d’échange automatique d’informations.
L’augmentation récente du volume de procédures a débouché sur de nombreux litiges judiciaires qui ont permis de préciser les modalités de calcul des suppléments d’impôts. Le Tribunal fédéral avait déjà jugé que le supplément d’impôt consistait en une dette déductible fiscalement et que l’Administration devait ainsi en tenir compte dans la détermination de la fortune imposable pour chaque année de rappel d’impôt.
Malgré une jurisprudence de la Chambre administrative de la Cour de Justice du canton de Genève (ci-après « CACJ »)[1] ayant déjà constaté le droit du contribuable à obtenir la déduction des intérêts moratoires des revenus imposables à la fin de chaque année faisant l’objet d’un rappel d’impôt, des considérations économiques et de praticabilité au niveau informatique conduisaient l’AFC à contester l’interprétation de la Cour de justice quant à l’imputation « cloisonnée » année par année préconisée.
L’AFC admettait par contre cette déduction l’année durant laquelle le bordereau de rappel d’impôt incluant les intérêts moratoires était effectivement notifié. Cette pratique, bien qu’en opposition avec l’arrêt de la CACJ précité, pouvait néanmoins s’avérer avantageuse pour les contribuables se situant dans une tranche de forte progression du taux d’imposition. En effet, la déduction d’un montant élevé d’intérêts moratoires dans la taxation subséquente permettait d’abaisser de façon plus significative la quote-part d’imposition de sorte que l’avantage fiscal refusé lors du rappel d’impôt se trouvait quasi compensé. Il en allait différemment pour les personnes imposées à de faibles taux ou au taux maximal.
L’arrêt du Tribunal fédéral
Le 2 juillet 2018, le Tribunal fédéral a rendu la décision de principe attendue.
Selon la Haute Cour, la possibilité de déduire du revenu les intérêts passifs est prévue à l’art. 33 al. 1 let. a LIFD. La déduction d’intérêts passifs suppose l’existence d’une dette pécuniaire et ce n’est que si une relation existe entre les intérêts et la dette qu’il peut être question d’intérêts passifs.
Le Tribunal fédéral précise que les intérêts relatifs aux rappels d’impôt, même s’ils constituent une catégorie d’intérêts passifs particulière, ont pour but de compenser le fait que la somme due au titre de rappel d’impôt n’a pas été payée au moment où elle aurait dû l’être, faute de taxation complète à l’époque, mais seulement plus tard, dans le cadre de la procédure de rappel en question. En ce sens, ils sont en lien avec la dette pécuniaire découlant du rappel d’impôt et doivent pouvoir être déduits du revenu du contribuable. Le Tribunal fédéral précise même qu’il tranche cette question pour la première fois et qu’il s’agit bien d’une décision de principe à cet égard.
Il en va de même pour la déductibilité des intérêts moratoires de la fortune imposable. Selon l’art. 13 al. 1 LHID, l’impôt sur la fortune a pour objet l’ensemble de la fortune nette. D’après l’art. 56 al. 1 LIPP/GE, ” sont déduites de la fortune brute les dettes chirographaires ou hypothécaires justifiées par titres, extraits de comptes, quittances d’intérêts ou déclaration du créancier “. En outre, “ il ne peut être déduit que les dettes effectivement dues par le contribuable ” (art. 56 al. 2 LIPP/GE).
Ce constat fait, il revenait au Tribunal fédéral de se prononcer quant à la période durant laquelle les intérêts moratoires devaient être déduits. Le Tribunal fédéral a jugé que cette question n’était pas résolue par le droit fédéral. Ni la LIFD ni la LHID ne donnent en effet d’indication précise à cet égard, le recouvrement des impôts relevant largement de la compétence des cantonaux. Pour cette raison, le Tribunal fédéral s’est limité à un examen de l’arrêt de la Cour de justice sous l’angle de l’arbitraire Les règles de procédures cantonales étant très semblables, cette jurisprudence devrait néanmoins être opposable dans la plupart des cantons.
Les intérêts moratoires, qui commencent à courir 30 jours après le terme initial d’échéance de l’impôt pour l’IFD (cf. art. 3 de l’ordonnance du DFF du 10 décembre 1992 sur l’échéance et les intérêts en matière d’impôt fédéral direct; RS 642.124), respectivement “dès le terme général d’échéance de l’année ou de la période fiscale concernée” pour l’ICC (art. 27 al. 1 LPGIP/GE), sont donc directement liés au montant du rappel d’impôt dû par le contribuable pour chaque période fiscale en cause. Partant, compte tenu de l’étanchéité des exercices fiscaux, la CACJ n’est pas tombée dans l’arbitraire en considérant que les intérêts moratoires relatifs aux suppléments d’impôt devaient être déduits du revenu du contribuable pour chaque année fiscale concernée par les rappels d’impôt litigieux.). Le même raisonnement prévaut pour la déduction des intérêts relatifs aux rappels d’impôt s’agissant de la fortune.
Conclusions, recommandations
La jurisprudence rendue par le Tribunal fédéral le 2 juillet 2018 pose le principe selon lequel les intérêts moratoires sont bien déductibles des revenus et de la fortune redressés. Par ailleurs, il revient à l’AFC de déduire ce montant spontanément lors du calcul du supplément d’impôt pour chaque année fiscale faisant l’objet d’un rappel d’impôt.
Les contribuables genevois qui ont reçu une taxation suite à un rappel d’impôt dans laquelle les intérêts moratoires n’ont pas été déduits du revenu et/ou de la fortune imposable, et pour laquelle le délai de réclamation ou le délai de recours contre la décision sur réclamation n’est pas échu, devraient agir pour l’obtenir sans plus tarder.
Pour les contribuables qui se sont d’ores et déjà vu refuser la déduction des intérêts moratoires dus au titre de rappels d’impôts, et pour qui le délai pour faire réclamation ou recours est échu, il conviendra de déduire le montant total dû à titre d’intérêts moratoires dans la déclaration fiscale de l’année durant laquelle le paiement des intérêts moratoires intervient, comme l’a préconisé l’AFC jusqu’à présent.
Reste à vérifier si l’AFC, suite à son insuccès devant le Tribunal fédéral, ne reviendra pas sur sa pratique et refusera de déduire les intérêts moratoires liés au rappel lors du bordereau de taxation subséquent. Un tel revirement nous paraîtrait toutefois insoutenable sous l’angle du principe de la bonne foi, l’AFC ayant donné des assurances claires aux contribuables à cet égard.
[1] (ATA /56/2017 du 24 janvier 2017