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En droit du bail, la formule officielle est un document central de la réglementation visant à protéger le locataire contre les loyers abusifs. Elle a pour but d’informer le locataire au sujet de la possibilité qui lui est offerte de saisir l’autorité de conciliation afin de contester le montant du loyer en lui fournissant toutes les indications utiles.1 Elle sert donc à empêcher les hausses abusives de loyer lors d’un changement de locataire, de sorte que l’indication du loyer versé par le précédent locataire doit impérativement y figurer.2
Le défaut de notification de la formule officielle, lorsqu’elle est applicable de par la loi, au moment de la conclusion du contrat de bail a pour principale conséquence d’entrainer la nullité du loyer convenu qui devra alors être fixé par le juge. Cette problématique relevant du droit civil et étant généralement bien connue du grand public, elle ne sera pas traitée plus en détail dans le cadre de la présente contribution. En revanche, celle-ci se concentrera sur les éventuelles conséquences pénales pouvant résulter de certaines irrégularités frappant le contenu de la formule officielle. En effet, au cours des dernières années, de plus en plus de voix se sont élevées pour dénoncer des pratiques de prime à bord peu scrupuleuses commises par certains bailleurs, respectivement leurs mandataires.
C’est d’ailleurs dans ce contexte que le Tribunal fédéral a récemment été amené à trancher la question de savoir si la formule officielle et le contrat de bail peuvent être considérés comme des titres au sens de l’art. 251 du Code pénal (CP).3
A teneur de cette disposition, “celui qui, dans le dessein de porter atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d’autrui, ou de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, (i.) aura créé un titre faux, falsifié un titre, abusé de la signature ou de la marque à la main réelles d’autrui pour fabriquer un titre supposé, ou constaté ou fait constater faussement, dans un titre, un fait ayant une portée juridique, ou (ii.) aura, pour tromper autrui, fait usage d’un tel titre, sera puni d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire“.
Le titre peut être un écrit, un signe ou un enregistrement au sens de l’art. 110 al. 4 CP. Il doit être destiné et propre à prouver un fait ayant une portée juridique. C’est pourquoi, l’écrit doit incarner une déclaration d’un être humain dans laquelle est exprimé un contenu mental.4
L’art. 251 CP protège, en tant que bien juridique, la confiance accordée par les justiciables dans la vie juridique à un titre comme moyen de preuve.5 Cette infraction est qualifiée d’infraction de mise en danger abstraite puisque la création d’un faux permet de réaliser des avantages illicites sans pour autant désigner précisément le cercle des victimes potentielles ou prévoir la nature de l’avantage.6
Communément, l’infraction du faux dans les titres peut prendre la forme de deux actes typiques soit le faux matériel consistant à créer un titre unecht (qui trompe sur son auteur) – avec ou sans intervention physique sur le titre, et le faux intellectuel consistant à créer un titre exclusivement unwahr (qui trompe sur son contenu).7
L’art. 251 ch. 1 CP vise notamment le faux intellectuel, à savoir un titre qui émane de son auteur apparent, mais dont le convenu ne correspond pas à la réalité. Pour être qualifié comme tel, le document doit revêtir une crédibilité accrue et son destinataire doit pouvoir s’y fier raisonnablement. Tel est le cas lorsque certaines assurances objectives garantissent aux tiers la véracité de la déclaration.8 Il peut s’agir, par exemple, d’un devoir de vérification qui incombe à l’auteur du document ou de l’existence de dispositions légales qui définissent le contenu du document en question. En revanche, le simple fait que l’expérience montre que certains écrits jouissent d’une crédibilité particulière ne suffit pas, même si dans la pratique des affaires il est admis que l’on se fie à de tels documents.9
Bien que la jurisprudence relative au faux dans les titres soit abondante, il n’existe pas de liste exhaustive des documents (titres) visés par l’art. 251 CP.
Dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt du Tribunal fédéral du 2 juin 2022 évoqué plus haut, il était reproché au prévenu d’avoir indiqué des montants factices pour les anciens loyers et charges et des noms d’anciens locataires inexistants lors de l’établissement de nouveaux contrats de bail.
Ces informations erronée figuraient à la fois sur le nouveau contrat de bail et sur la formule officielle destinée à communiquer au locataire les hausses de loyer (cf. art. 269d du Code des obligations (CO) cum art. 19 de l’Ordonnance sur le bail à loyer et le bail à ferme d’habitations et de locaux commerciaux (OBLF)). L’instruction a conduit le Ministère public à considérer que le but de cette démarche était d’éviter une contestation initiale du loyer par le nouveau locataire et de favoriser une augmentation massive et injustifiée du loyer.
Pour déterminer si ces documents consacrent des faux intellectuels tombant sous le coup de l’art. 251 CP, le Tribunal fédéral a examiné si le contrat de bail et la formule officielle revêtent la qualité de titres au sens de cette disposition.
D’une part, s’agissant des documents contractuels tel que les baux, ils ne peuvent en principe pas faire l’objet de faux intellectuels. En effet, selon une jurisprudence bien établie, un contrat dont le contenu est faux n’est en principe pas un titre bénéficiant d’une crédibilité accrue aussi longtemps qu’il n’est pas apte à démontrer de manière indéniable que les manifestations de volonté des cocontractants correspondent à leur volonté réelle.10
D’autre part, en ce qui concerne la formule officielle, il sied d’abord de souligner qu’en cas de pénurie de logements, les cantons peuvent rendre son usage obligatoire lors de la conclusion de nouveaux baux (art. 270 al. 2 CO). C’est notamment le cas à Genève ainsi que dans certains districts du Canton de Vaud. L’usage de la formule officielle poursuit donc un objectif de protection du locataire en l’informant de son droit de contester le montant du loyer s’il juge qu’il a été établi en violation du cadre légal applicable et en empêchant les hausses abusives de loyer lors d’un changement de locataire.
À cet égard, les Juges de Mon-Repos retiennent que la formule officielle prévue par la législation en matière de droit du bail constitue un titre au sens de l’art. 251 cum art. 110 ch. 4 CP lorsqu’elle a été rendue obligatoire dans le canton dès lors que son contenu est strictement réglementé par la législation. Il convient donc de conférer à ce document une crédibilité accrue auquel le locataire doit pouvoir se fier au moment de décider s’il se justifie de faire usage de son droit de contester le loyer initial.
Une nuance a cependant été portée par notre Haute-Cour s’agissant de la condamnation sur la confection de faux contrats de bail.
Il était en effet uniquement reproché au prévenu d’y avoir fait reporter des noms factices d’anciens locataires et non pas les montants des loyers payés par ces derniers. Or, l’indication de l’identité de l’ancien locataire n’est pas exigée par la loi. Par ailleurs, il est difficilement envisageable que cette simple indication soit susceptible de constituer un vice de la volonté des nouveaux locataires. Ainsi, le Tribunal fédéral estime que le bailleur n’est pas tenu de garantir au locataire la véracité de l’ensemble des informations communiquées.
Par cet arrêt exhaustif s’agissant de la qualification de la formule officielle en tant que titre, le Tribunal fédéral est venu élargir la portée de l’art. 251 CP en matière de faux intellectuels. Toutefois, la question de l’indication fausse sur le contrat de bail des montants des loyers payés par l’ancien locataire n’a pas été examinée et reste encore ouverte.
Bien que le seuil permettant de retenir l’infraction de faux dans les titres au sens de l’art. 251 CP soit élevé, il convient d’être particulièrement prudent lors de l’établissement de documents relatifs aux baux de loyer mais aussi de documents aujourd’hui considérés comme officiels et jouissant dès lors d’une protection accrue tel que la formule officielle. Il ne peut être exclu qu’à l’avenir les tribunaux soit amenés à statuer au sujet de l’extension de l’application des principes dégagés de cette jurisprudence à d’autres documents couramment utilisés dans le domaine du bail, à l’image de l’avis de majoration du loyer, voire le décompte des charges et frais accessoires.
1 ATF 137 III 547, consid. 2.3.
2 ATF 120 II 341, consid. 3.
3 Arrêt TF 6B_1270/2021 du 2 juin 2022
4 CR CP I-Schubarth, art. 110 al. 4 N 4.
5 ATF 132 IV 12, consid. 8.1, all. ; ATF 129 IV 130, consid. 2.1, JdT 2005 IV 118 ; ATF 114 IV 26, JdT 1989 IV 69 ; ATF 95 IV 68, consid. 3b, JdT 1969 IV 78 ; Donatsch/Wohlers, p. 140 ; BSK Strafrecht II-Boog, N 5 ad rem. prél. art. 251 CP.
6 Corboz, II, art. 251 N 2 ; BSK Strafrecht II-Boog, Art. 251 N 5.
(CR CP II-Kinzer, art. 251 CP).
7 ATF 132 IV 12, consid. 8.1. ; ATF 129 IV 130, consid. 2.1.
8 ATF 146 IV 258, consid. 1.1 ; ATF 144 IV 13, consid. 2.2.2.
9 ATF 142 IV 119, consid. 2.1 et les références citées.
10 ATF 146 IV 258, consid. 1.1.1 ; ATF 123 IV 61, consid. 5c/cc ; ATF 120 IV 25, consid. 3f ; arrêt 6B_472/2011 du 14 mai 2012, consid. 14.2.