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Le Chapitre 2 de la Loi fédérale sur les services financiers (LSFIN) prévoit de nombreuses règles de comportement détaillées applicables aux prestataires de services financiers, soit l’obligation d’information, de vérification du caractère approprié et/ou adéquat, de documentation et de compte-rendu, et de transparence et de diligence en matière d’ordres des clients.
Selon le Message du Conseil Fédéral (p.8121), les règles de comportement de la LSFIN sont décrites comme droit prudentiel avec effet de rayonnement sur le droit civil. Ces règles relèvent ainsi du droit public. Si la FINMA constate qu’un prestataire a enfreint ses obligations, elle prend des mesures en application de la LFINMA. Les règles de comportement prudentielles de la LSFIN n’interfèrent pas directement dans la relation de droit privé entre les prestataires et leurs clients.
Par conséquent, il semblerait de prime abord que la volonté du législateur soit que les normes prudentielles de la LSFIN ne soient pas des normes mixtes (public-privé, tel que le célèbre art. 11 LBVM) mais bien des dispositions de droit public. Le Message ajoute encore que le juge civil doit statuer sur la relation entre le prestataire et ses clients en se fondant sur les dispositions applicables de droit privé, mais peut préciser celles-ci en s’appuyant sur les règles de comportement de la LSFIN. Cela signifie qu’un client mécontent ne peut pas faire valoir ses droits (civils) devant la FINMA et ne sera pas admis comme partie à la procédure administrative en application de Loi fédérale sur la procédure administrative (PA) (cf. Message p. 8121).
Dans le Message susmentionné, le commentaire ad art. 90 LSFIN indique également que la FINMA n’est pas habilitée à évaluer les litiges de droit civil entre les prestataires et leurs clients. La compétence appartient aux tribunaux civils. Le Message précise que la FINMA ne doit pas accorder d’assistance administrative aux tribunaux civils.
Cela étant, l’Ordre des avocats de Genève avait pris une position différente lors de la consultation s’agissant du projet de LSFIN, en septembre 2014. L’ODA note que le rapport explicatif du DFF indique que les règles de conduite auront un effet de rayonnement sur le droit civil. L’ODA estime que cet effet est déjà connu et se réfère notamment à l’art. 11 LBVM. L’ODA a indiqué qu’il semblait disproportionné que l’ensemble des règles prévues dans le projet LSFIN puissent être prises en considération dans un litige civil ou pénal.
S’agissant de l’art. 11 LBVM, la jurisprudence et la doctrine considèrent que les effets de cet article bien connu – consacrant les devoirs du négociant vis-à-vis de ses clients – sont de nature double, de droit public et de droit privé. Par rapport aux règles de la LSFIN, l’art. 11 LBVM est beaucoup plus succinct. Il n’énonce que les grands principes destinés à protéger les clients, soit les devoirs d’information, de diligence et de loyauté.
Dans le Message concernant la LBVM (p. 1306), le CF a indiqué que l’art 11 LBVM énumère les principes essentiels que les négociants doivent observer et inclure dans leurs règlements internes. Le Message prescrit que les devoirs découlant de cet article devront figurer dans les conditions générales du négociant qui seront soumises à l’approbation de l’autorité de surveillance.
Selon des auteurs de doctrine, lors de l’entrée en vigueur de l’art 11 LBVM, cet article était présenté comme ayant essentiellement des effets de droit public. (Daniel Guggenheim, Les contrats de la pratique bancaire suisse, 5 éd, Berne 2014, p. 17). Ce n’est qu’en 2007 que le TF a fait jurisprudence s’agissant des devoirs des négociants selon l’art. 11 LBVM et a jugé que cette norme produisait tant des effets de droit réglementaire que de droit privé (notamment ATF 133 III 97, arrêt 4C.205/2006 du 21 février 2007 et arrêt 4C.385/2006 du 21 avril 2007). Lombardini note que la violation de l’art. 11 LBVM peut être invoquée lors d’une action en dommages-intérêts du client contre sa banque, et que la FINMA peut également intervenir en raison de la nature réglementaire de cette disposition (Carlo Lombardini, Droit bancaire suisse, 2éd, Zurich, Bâle, Genève 2008, p. 755). Il rappelle également que cette disposition déploie un effet direct entre les parties, et que le régime de responsabilité est celui de la responsabilité contractuelle (Lombardini, op. cit. p.766).
Au vu de ce qui précède, il est intéressant de noter que selon une partie de la doctrine, l’art. 11 LBVM ne semblait pas initialement prévu pour déployer des effets contractuels entre la banque (ou le négociant) et ses clients. Le Message du CF précité ne mentionne en effet pas cela. Nous comprenons que le TF a fait évoluer le champ d’application et la portée de cette disposition. Ce point nous semble essentiel et il a par ailleurs été relevé par l’ODA dans son argumentaire.
En effet, il convient de tirer les enseignements du passé. Dans le présent cadre, le législateur n’avait pas initialement désiré, selon notre compréhension, que l’art. 11 LBVM produise des effets de droit privé. Alors que les normes de comportement de la LSFIN n’ont pas pour but d’avoir des effets (directs) en droit privé, tel que cela ressort de la volonté du législateur exprimée dans le Message du CF, il est à notre sens fort probable que l’histoire se répète et que le TF en fasse une interprétation plus large, de façon similaire à l’art 11 LBVM, et confère une double nature à certaines de ces dispositions. En effet, le TF pourrait estimer que ces règles de comportement de la LSFIN, à tout le moins celles codifiant les principes essentiels de protection des clients, soient l’héritage de l’art. 11 LBVM et qu’il n’y a pas de raison de traiter différemment ces deux corpus de règles.
Il conviendra de suivre ces développements potentiels avec la plus grande attention, en ce sens que les implications sur les normes de comportement applicables et les issues des litiges de droit civil voire pénal pourront être très importantes. Cette « veille réglementaire » est d’autant plus capitale pour les gestionnaires de fortune, et les trustees qui fournissent des services financiers, dès lors que la LSFIN, et par conséquent ses règles de comportement, s’appliquent exhaustivement, depuis l’entrée en force de celle-ci le 1er janvier 2020, aux gestionnaires et trustees sous l’angle réglementaire, alors que cela n’était pas le cas jusqu’à présent sous l’égide de l’art. 11 LBVM.
Nous sommes à disposition pour toute question concernant ce qui précède (CV Eric Favre).