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Le Grand Conseil genevois a adopté le 7 octobre 2021 une modification de l’art. 91 de la Loi sur les droits d’enregistrement (LDE). Cette modification vise à rendre plus attractive la cédule hypothécaire de registre.
Pour rappel, la cédule hypothécaire de registre a été introduite dans le Code civil suisse (art. 857 ss) lors de la révision de 2012. Alors qu’auparavant n’existaient que des cédules émises sous forme de titre (cédule nominative ou au porteur), cette réforme visait à créer une cédule hypothécaire dématérialisée, avec pour objectif principal d’éviter les inconvénients liés au transfert des titres en cas de cession de biens immobiliers. En effet, il s’est avéré qu’en raison de périodes de détention relativement longues, souvent à travers plusieurs générations, les propriétaires avaient parfois de la peine à localiser les cédules matérialisant le gage constitué sur leur bien immobilier. Or, la perte du titre nécessite de passer par la voie de l’annulation judiciaire, une procédure relativement longue puisqu’un triple avis aux créanciers doit être préalablement publié dans la feuille d’avis officielle. Cela implique également des incertitudes dans le cadre de la transaction envisagée, puisque tant que le titre n’a pas été annulé par un juge, un tiers pourrait théoriquement présenter la cédule et agir en réalisation du gage à l’encontre du (nouveau) propriétaire.
Ensuite de cette révision, de nombreux cantons ont rapidement adopté le régime de la cédule hypothécaire de registre. Ainsi, en pratique, hormis si les spécificités de la transaction immobilière l’exigent, les notaires auront tendance à proposer spontanément la création d’une telle cédule dématérialisée. Celle-ci ne nécessite en effet qu’une simple inscription au Registre foncier pour sa constitution, de même que pour son transfert.
Pourtant, jusqu’à présent et au contraire de ce qui est pratiqué dans le reste de la Suisse, l’usage des cédules hypothécaires de registre ne s’est pas répandu à Genève. La raison de cette résistance est en réalité purement financière et prend sa source dans la LDE évoquée ci-dessus. En effet, cette loi régissant les droits d’enregistrement perçus par le fisc prévoyait jusqu’à présent à son article 91 al. 1 la perception d’un impôt en cas d’enregistrement d’”actes constatant une cession de créance“. Or, afin d’assurer le respect du principe de publicité, le transfert d’une cédule hypothécaire de registre nécessite une inscription au Registre foncier, laquelle fait suite à une déclaration écrite. A l’inverse, le transfert d’une cédule hypothécaire dans sa version papier se fait de la main à la main, hors la vue du notaire. Il existait en conséquence un risque que sur la base d’une interprétation extensive de la loi, l’administration fiscale genevoise soit susceptible de taxer tout transfert d’une cédule hypothécaire de registre à hauteur de 1,365% (taux légal de 0.65% auxquels se rajoutent les centimes additionnels cantonaux) de sa valeur, alors même que sa constitution aurait déjà été taxée à l’origine au même taux. Il en serait allé de même en cas de changement de banque créancière, et ce, quand bien même le bien n’aurait fait l’objet d’aucun transfert de propriété. En revanche, le transfert d’une cédule hypothécaire “ordinaire”, c’est-à-dire émise sous forme de titre, ne requiert pas de publicité au Registre foncier. Dès lors, la pratique en vigueur depuis de nombreuses années (une “Genferei”, somme toute !) voulait qu’en cas de transfert d’un bien immobilier, l’acquéreur reprenne systématiquement la cédule hypothécaire du vendeur (gratuitement ou contre paiement), quitte à en augmenter le montant au besoin.
Il faut encore souligner que le coût de constitution d’une cédule est élevé à Genève en comparaison avec d’autres cantons : pour une cédule hypothécaire de CHF 1’000’000, les frais et émoluments s’élèveraient à près de CHF 20’000, contre environ CHF 6’000 en Valais et dans le canton de Vaud, CHF 7’500 dans le canton du Jura et un peu moins de CHF 12’000 à Fribourg.
Le PLR genevois a ainsi déposé au mois d’octobre 2019 un projet de loi (PL 12594) visant à rectifier cette situation, afin de favoriser l’usage des cédules hypothécaires de registre dans le canton. Des représentants de la Chambre des notaires genevoise ont été auditionnés par la Commission fiscale du Grand Conseil dans ce contexte. Ils ont exposé pourquoi les notaires étaient réticents à proposer la création d’une cédule hypothécaire de registre en lieu et place d’un titre traditionnel, soit essentiellement en raison du risque de taxation ultérieure. Après avoir constaté qu’une modification légale n’aurait en principe pas d’impact sur les rentrées fiscales de l’Etat, la majorité des commissionnaires a recommandé l’adoption du projet de loi.
Chose rare à Genève, la nouvelle teneur de l’art. 91 LDE a été adoptée sans oppositions lors de la séance du Grand Conseil du 7 octobre 2021. N’ayant suscité aucun référendum, la modification légale est entrée en vigueur le 1er janvier 2022. Les acquéreurs, respectivement leurs créanciers, peuvent donc dès à présent instruire leur notaire de constituer une cédule hypothécaire de registre en garantie de leur gage immobilier.