La clause de règlement des différends contestée


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La nécessité de rédiger avec soin une clause de règlement des différends est évidente. Cela étant, une récente décision de la “High Court of Justice” anglaise nous rappelle – à nouveau – l’importance de ne pas négliger le texte d’une clause de règlement des différends à l’occasion de la négociation et de la rédaction de contrats commerciaux (1). Il est courant que les parties à des contrats commerciaux s’engagent à négocier avant de soumettre un litige aux tribunaux. Le but d’un tel accord est bien sûr d’encourager les partenaires commerciaux à trouver un arrangement avant de s’engager sur la voie longue et coûteuse d’une procédure judiciaire. Le statut juridique de telles clauses a donné lieu à controverse en droit anglais s’agissant de leur exécutabilité et ont fait l’objet de nombreuses décisions. La décision rendue dans l’affaire Emirates Trading Agency LLC v Prime Mineral Exports Private Limited contraste avec la jurisprudence antérieure selon laquelle une obligation de négocier ou d’entamer une médiation n’était pas suffisamment déterminable pour être exécutée. Bien que soulevée dans un contexte de droit anglais, la question a toute sa pertinence en droit suisse également.

1. Faits

Emirates Trading Agency LLC (“ETA”) et Prime Mineral Exports Private Limited (“PMEPL”) ont conclu un “Contrat de longue durée” relatif à la fourniture de minerai de fer en octobre 2007. Pendant la première année, ETA n’a pas fourni la quantité attendue et n’en a pas fourni du tout l’année suivante. En décembre 2009, PMEPL a résilié le contrat et exigé des dommages-intérêts. En juin 2010, PMEPL a saisi le tribunal arbitral.

La clause de règlement des différends prévoyait ce qui suit:

1.1 Résolution des différends et arbitrage

1.1.1 En cas de litige ou de prétention découlant ou en lien avec ce “Contrat de longue durée”, y compris s’agissant des violations/défauts de paiement mentionnés aux articles 9.2, 9.3, 10.1(d) et/ou 10.1(e) ci-avant, les parties chercheront d’abord à résoudre leurs litiges ou satisfaire la prétention de l’une d’elles au moyen de discussions amicales. Chaque partie peut notifier à l’autre partie son souhait d’engager des pourparlers pour résoudre un litige ou satisfaire à une prétention. Si aucune solution ne peut être trouvée entre les parties pour une période de 4 (quatre) semaines d’affilée, la partie qui ne sera pas en défaut pourra se baser sur la clause d’arbitrage et soumettre le litige à l’arbitrage.

1.1.2 Tous les litiges découlant de ou en lien avec ce “Contrat de longue durée” seront réglés de manière définitive par la voie de l’arbitrage conformément aux Règles d’Arbitrage International de la Chambre de Commerce Internationale (“ICC”). Le siège de l’arbitrage sera Londres (“UK”). La langue de l’arbitrage sera l’anglais.

1.1.3 Le tribunal arbitral sera composé de trois (3) arbitres, chaque partie désignant un arbitre et le troisième étant désigné par l’ICC. Toute sentence rendue à la majorité des arbitres sera finale et aura effet contraignant pour les parties et pourra faire l’objet d’une procédure d’exécution forcée devant toute juridiction compétente”.

Le tribunal arbitral a admis sa compétence pour connaître de la demande de PMEPL. ETA ne partageant pas cet avis, elle a saisi la “High Court of Justice” de Londres, lui demandant de constater l’absence de juridiction du tribunal arbitral (2). En effet, ETA a fait valoir que la clause de règlement des différends prévue dans le “Contrat de longue durée” contenait une condition préalable – une négociation – qui devait être remplie avant que le tribunal arbitral puisse connaître de la demande de PMEPL et que ladite condition n’avait pas été remplie. En outre, ETA estimait que les discussions devaient avoir lieu pendant une durée de quatre semaines. Quant à PMEPL, elle a fait valoir que la condition préalable ne pouvait être exécutée parce qu’il s’agissait d’un “simple accord de négocier” et que, fallût-il le considérer comme une condition préalable, celle-ci avait été remplie.

2. Obligation de négocier

Il a été établi que les parties s’étaient rencontrées à plusieurs occasions à la suite de la résiliation. S’agissant de l’article 11.1, la cour a d’abord examiné sa structure avant de se pencher sur son exécutabilité. La cour a relevé que l’emploi du mot “shall” indiquait que l’engagement de négocier était obligatoire et a admis que, du fait de la structure de l’article 11.1, des négociations devaient avoir lieu avant qu’une partie puisse saisir le tribunal arbitral, lesdites négociations constituant une condition préalable. Cela étant, la cour n’a pas retenu l’argument selon lequel les négociations devaient avoir lieu pendant quatre semaines d’affilée: “[j]e doute qu’il s’agisse là du sens que les parties ont raisonnablement pu vouloir. […] A mon avis, le seul sens que l’on peut raisonnablement donner à ces mots, pris dans le contexte de l’article vu comme un tout, est que si, nonobstant les discussions amicales pour surmonter un litige requises par la première partie de l’article […], aucune solution ne peut être trouvée pendant une période continue de 4 semaines, alors la voie de l’arbitrage est ouverte” (3). La cour a également relevé que l’article 11.1 n’était pas dénué d’intérêt commercial, dès lors qu’il visait à éviter une procédure coûteuse et chronophage en obligeant les parties à tenter de résoudre leurs litiges à l’amiable (4).

3. Exécutabilité

Pour ce qui est de l’exécutabilité de la clause de règlement des litiges contestée, la cour s’est référée à de nombreuses décisions (5). Ainsi, dans l’affaire Walford vs Miles [1992] 2 AC 128, la Chambre des Lords avait retenu que la certitude nécessaire faisait défaut à un simple accord de négocier et qu’il n’était donc pas exécutable. D’après une décision de 2013 (6), “[l]es accords pour se mettre d’accord et les accords de négocier de bonne foi, sans autre précision, doivent être considérés comme inexécutables: la bonne foi est un concept ou un critère trop large pour offrir une définition suffisante de ce qu’un tel accord doit comprendre au minimum et quand il peut objectivement être déterminé comme dûment conclu” (7). La cour a relevé qu’un accord de se mettre d’accord peut être incomplet si les éléments essentiels d’un futur compromis lui font défaut mais que, en revanche, un accord de négocier, pour autant qu’il soit considéré comme un accord visant à se comporter d’une façon particulière peut être incertain, mais pas incomplet (8). Se référant à une décision australienne, la cour a considéré que la difficulté de prouver une violation ne signifiait pas que l’obligation n’avait pas de réelle substance (9).

La cour a conclu: «[i]l y a, il me semble, beaucoup d’arguments qui militent en faveur de l’opinion selon laquelle une obligation limitée dans le temps de chercher à résoudre un litige de bonne foi devrait être exécutable. Un tel accord n’est pas incomplet. Bien qu’il puisse être difficile d’établir qu’une partie n’a pas cherché à résoudre un litige de bonne foi, il y aura des cas dans lesquels cela pourra être démontré, par exemple lorsqu’une partie fait valoir une prétention, refuse de négocier et cherche à initier une procédure d’arbitrage. Dans un tel cas, il serait regrettable qu’un tribunal considère qu’une obligation de chercher à résoudre un litige est incertaine et par conséquent inexécutable car cela signifierait qu’une partie peut ignorer son apparente obligation. Dans le domaine des clauses de résolution des différends dans les contrats commerciaux, le juge ne devrait pas se montrer «zélé au point de renforcer l’incertitude»» (10). La cour a par ailleurs souligné le fait qu’une obligation de chercher à résoudre un litige de bonne foi n’était pas sans objet lorsque les parties ont volontairement accepté une restriction matérielle de leur liberté d’action (11). En d’autres termes, les parties sont libres de conclure ce qu’elles entendent à moins que la loi ne l’interdise. Enfin, la cour a considéré que l’exécution d’une clause nécessitant que les parties cherchent à résoudre leur litige en entamant des discussions amicales en bonne foi relevait de l’ordre public pour deux raisons: premièrement, les hommes d’affaires s’attendent à ce que les tribunaux fassent exécuter les obligations qu’ils ont volontairement assumées; secondement, l’objet du contrat était d’éviter un arbitrage coûteux et chronophage.

En conséquence, au vu de ce qui précède, la cour a retenu que l’obligation de négocier avant de commencer une procédure d’arbitrage était exécutable. Rappelons que le tribunal arbitral était lui-même arrivé à la conclusion inverse (12).

4. Droit suisse

Qu’en est-il en droit suisse ? Avant tout, la liberté contractuelle prévaut en droit suisse. En conséquence, les parties à un contrat peuvent librement accepter de restreindre leur liberté (dans les limites de la loi (13)). Les parties peuvent ainsi restreindre leur liberté d’accès à la justice en la rendant sujette à la réalisation d’une condition de négocier. La jurisprudence suisse a longtemps considéré qu’une clause de négociation n’empêchait pas une partie de porter un litige en justice (14). Néanmoins, dans un arrêt rendu en 2007, le Tribunal fédéral a déterminé la volonté des parties s’agissant d’une clause de règlement des différends qui prévoyait que tout litige qui n’aurait pas été résolu à l’amiable (y compris dans le cadre d’une médiation) serait déféré à un tribunal arbitral et, bien qu’il ait rejeté le recours, le Tribunal fédéral a reconnu qu’une clause de résolution des différends prévoyant une négociation préalable pouvait – si tel était la volonté des parties – avoir un effet obligatoire pour elles (15). A relever qu’en rejetant le recours, notre Haute cour a en particulier relevé que la clause litigieuse de résolution des différends ne contenait aucune indication quant au délai dans lequel la médiation devait avoir commencé ou abouti (16).
En cas de désaccord sur le sens à donner à une clause de résolution des différends prévoyant une phase de négociations, la volonté réelle des parties devra être déterminée en allant au-delà du strict texte de la clause: “[p]our apprécier la forme et les clauses d’un contrat, il y a lieu de rechercher la réelle et commune intention des parties, sans s’arrêter aux expressions ou dénominations inexactes dont elles ont pu se servir, soit par erreur, soit pour déguiser la nature véritable de la convention” (17). Selon une jurisprudence constante, les problèmes qui concernent l’accord de volonté des parties doivent être résolus en première ligne sur la base de ce que les parties ont subjectivement voulu de manière concordante, avant d’examiner ce qu’elle ont objectivement déclaré, mais compris différemment du point de vue subjectif. Ce faisant, le juge peut notamment tenir compte de l’expérience des parties et interpréter la clause contra stipulatorem.
Ainsi, à l’image de la récente décision anglaise, une clause de résolution des différends figurant dans un contrat soumis au droit suisse qui rend l’accès aux tribunaux sujet à une négociation préalable (ou à un mécanisme alternatif de résolution des différends (“Alternative Dispute Resolution”, “ADR”)) peut être considérée comme ayant force obligatoire entre les parties et les empêcher de soumettre leur litige à un tribunal sans avoir négocié un accord au préalable (ou recouru à un mécanisme alternatif de résolution des différends).
En conclusion, les parties qui souhaitent insérer une clause de résolution des conflits dans leur contrat et qui souhaitent forcer leur cocontractant à engager des négociations avant qu’un tribunal puisse être saisi d’un litige doivent exprimer très clairement leur intention et rédiger – ou faire rédiger par leur(s) avocat(s)! – une telle clause de manière univoque ainsi que limiter la durée des négociations (ou du mécanisme alternatif de résolution des différends).

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(1) Emirates Trading Agency LLC v Prime Mineral Exports Private Limited, [2014] EWHC 2104 (Comm)
(2) En vertu de l’art. 67 de l'”Arbitration Act 1996″
(3) Emirates Trading Agency LLC v Prime Mineral Exports Private Limited, § 26
(4) Emirates Trading Agency LLC v Prime Mineral Exports Private Limited, § 27
(5) Inter alia Walford v Miles [1992] 2 AC 128, United Group Rail Services v Rail Corporation New South Wales (2009) 127 Con LR 202
(6) Wah v Grant Thornton [2013] 1 Lloyd’s Law Report 11
(7) Wah v Grant Thornton, § 57
(8) Emirates Trading Agency LLC v Prime Mineral Exports Private Limited, § 43
(9) Emirates Trading Agency LLC v Prime Mineral Exports Private Limited, § 45
(10) Emirates Trading Agency LLC v Prime Mineral Exports Private Limited, § 52
(11) Emirates Trading Agency LLC v Prime Mineral Exports Private Limited, § 52
(12) Emirates Trading Agency LLC v Prime Mineral Exports Private Limited, § 6
(13) Art. 19 du Code des obligations
(14) Sylvain Marchand, Clauses contractuelles, Bâle, 2008 et références
(15) Arrêt du Tribunal fédéral 4A.18/2007, c. 4.3.2. in fine
(16) Arrêt du Tribunal fédéral 4A.18/2007, c. 4.3.2.
(17) Art. 18 du Code des Obligations


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