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I. Introduction
Le 8 février 2017, la Commission centrale des règlements de la Société suisse des ingénieurs et des architectes (SIA) a adopté une nouvelle version de la norme SIA 150 – « Dispositions relatives à la procédure devant un tribunal arbitral » (Règlement d’arbitrage SIA ou Règlement SIA) dont la version originale datait de 1977 et était demeurée inchangée depuis lors.
Cette nouvelle réglementation est valable depuis le 1er janvier 2018. Alors que son entrée en vigueur est intervenue en toute discrétion en comparaison, par exemple, à la dernière révision de la Norme SIA 118 – « Conditions générales pour l’exécution des travaux de construction » applicable à compter du 1er janvier 2013, cette modernisation mériterait une plus grande visibilité. En effet, d’une part ce nouveau corps de règles introduit un certain nombre de nouveautés pour le moins intéressantes et, d’autre part, il est réputé s’appliquer à toute procédure arbitrale introduite à compter de cette date, en relation avec un litige de droit relevant du domaine de l’architecture, de l’ingénierie ou de la construction, ceci même si la clause arbitrale en application de laquelle elle est initiée a été conclue antérieurement. A ce sujet, dès lors que l’article 1 § 2 du Règlement SIA réserve une éventuelle convention contraire des parties, se pose la question de savoir quel sera le sort d’une clause arbitrale conclue avant le 1er janvier 2018 et dans laquelle la version 1977 est expressément visée.
Parmi les principales raisons conduisant généralement les parties à conclure une clause arbitrale, on citera notamment le fait qu’un tribunal arbitral est réputé composé de personnes bénéficiant de connaissances et compétences plus spécifiques que les juges étatiques et que la procédure arbitrale a vocation de permettre aux parties d’obtenir une réponse plus rapide à la divergence qui les oppose. Les auteurs de la révision en ont tenu compte et proposent des innovations intéressantes au regard de l’un et l’autre aspect. La question des coûts, principal désavantage de l’arbitrage, a aussi été prise en considération.
II. Les principaux changements introduits par cette révision
A. L’élargissement du rôle du Bureau de la SIA
Du point de vue de l’institutionnalisation de la procédure arbitrale, la nouvelle réglementation confère un certain nombre d’attributions supplémentaires au Bureau de la SIA à qui il convient dorénavant d’adresser la demande d’arbitrage et à qui il revient de recueillir la réponse de la partie défenderesse (art. 3). De plus, à moins qu’il conclut à l’absence manifeste de convention d’arbitrage renvoyant à l’application de la procédure arbitrale SIA, le Bureau de la SIA engage la constitution du tribunal arbitral. Dans ce contexte, il dispose notamment d’un certain pouvoir de décision s’agissant de la détermination du nombre d’arbitres (art. 5) et de leur nomination (art. 6).
Ainsi, le nouveau rôle du Bureau de la SIA est double. En premier lieu, il lui incombe de tenter d’éviter qu’une procédure arbitrale soit inutilement ouverte, alors qu’il ne fait aucun doute que les parties n’ont pas convenu de soumettre leur dispute à la voie de l’arbitrage, respectivement au Règlement d’arbitrage SIA. En second lieu, il lui revient de favoriser un démarrage de la procédure aussi rapide que possible, en particulier lorsque les parties n’ont pas pris les dispositions nécessaires en vue de la constitution du tribunal arbitral.
B. L’expert technique en tant que nouveau membre du tribunal arbitral
En plus de la possibilité déjà existante de s’adjoindre les services d’un secrétaire juridique, le Règlement SIA offre au tribunal arbitral la possibilité de recourir aux services d’un expert technique pour l’accompagner (art. 12). Tout comme le secrétaire juridique, l’expert technique ne dispose que d’une voix consultative et n’est donc ni un arbitre, ni un expert nommé par le tribunal en application de l’art. 23 § 2 du Règlement SIA. Toutefois, il sera tenu aux mêmes exigences en matière d’indépendance et d’impartialité qu’eux. Les règles relatives à leur récusation (art. 8 ss) lui sont applicables par analogie.
Cette possibilité offre le double avantage de renforcer les connaissances et compétences techniques du tribunal arbitral, d’une part, et d’éviter la longue, complexe et couteuse phase de préparation des rapports d’experts formels d’autre part. Cette innovation apporte donc une relative plus-value au Règlement d’arbitrage SIA.
C. Le renforcement de la recherche de solutions amiables
La nouvelle réglementation a été pensée dans le but de favoriser la recherche de solutions amiables en vue du règlement du litige opposant les parties. Dans cette perspective, une plus grande place est offerte à la conciliation, puisque, à l’instar de ce que préconise le Code de procédure civile (CPC) pour les juridictions civiles ordinaires, le Règlement SIA permet aux arbitres de la tenter en tout temps. Alors que la version de 1977 se limitait à réserver la faculté du tribunal arbitral de tenter la conciliation en tout temps, le nouveau corpus de règles tend à concrétiser cette faculté, en prévoyant notamment que les parties et le tribunal doivent obligatoirement se réunir à deux occasions au moins, à savoir lors de la conférence d’organisation (art. 15) et lors de l’audience de débats d’instruction (art. 19), et qu’à chacune de ces occasions une tentative de conciliation doit en principe avoir lieu.
Ainsi, inspiré par le mécanisme prévu par le Règlement d’arbitrage de la Chambre de commerce international (art. 24 du Règlement CCI), l’art. 15 du Règlement SIA impose la tenue d’une conférence d’organisation dans les 30 jours suivant la constitution du tribunal arbitral et avant le début de l’échange des écritures. A cette occasion, après avoir entendu les parties, le tribunal arbitral fixe le calendrier de la procédure et évoque les principes de la rémunération de ses membres. D’entente avec les parties, cette rencontre peut également servir à discuter librement de l’objet de la dispute et à tenter de régler le litige à l’amiable.
Lorsque les parties ne parviennent pas à transiger durant la conférence d’organisation, une nouvelle tentative a en principe lieu lors des débats d’instruction convoqués après le premier échange d’écritures (art. 19). Lors de l’audience de débats, le tribunal arbitral tente la conciliation après avoir communiqué aux parties son appréciation provisoire des chances de succès de l’une et l’autre et des risques du procès (y compris des risques relatifs à la preuve).
L’importance que les auteurs de la révision accordent au règlement amiable des différends ressort également de la réglementation relative à la répartition des frais de procédure, puisque dans ce contexte, le tribunal arbitral peut être amené à tenir compte des offres transactionnelles qui n’ont pas abouti. En effet, alors qu’en principe les frais de procédure sont à la charge de la partie qui succombe, l’art. 38 § 3 du Règlement SIA prévoit une exception en ce sens que si une partie n’obtient pas, dans la sentence arbitrale, sensiblement plus que ce que l’autre partie lui a proposé avant la conférence d’organisation, elle peut être tenue de supporter l’intégralité des frais de la procédure. Il en résulte que chaque partie a intérêt à examiner et évaluer de façon méticuleuse toute offre transactionnelle adressée par son opposante et à apprécier les conséquences éventuelles de son refus.
D. L’influence des nouvelles règles sur la durée de la procédure
Contrairement à la version de 1977 qui prévoyait d’emblée un double échange d’écritures, la nouvelle règlementation semble tendre à l’économie de procédure. En effet, ce n’est qu’à l’issue de l’audience de débats d’instruction, et si elle n’a pas débouché sur un accord, que le tribunal arbitral statuera sur l’opportunité d’ordonner un second échange d’écritures (art. 20). Cette évolution a une influence non négligeable sur la rapidité et les coûts de la procédure puisqu’elle permet d’éviter les échanges d’écritures superflus.
En ce qui concerne la durée de la procédure, les auteurs de la révision ont, afin de faire gagner la procédure en efficacité, également décidé de prévoir des délais stricts entre les différentes phases procédurales. Jusqu’alors le règlement se limitait à indiquer que les arbitres devaient impartir des délais. Les nouvelles dispositions permettent donc aux parties et aux arbitres d’apprécier de manière plus précise la durée probable de la procédure.
E. L’introduction de règles spécifiques pour les cas « simples »
Alors qu’à l’origine un seul et unique corpus de règles s’appliquait à l’ensemble des litiges, quelle que soit la valeur litigieuse, la nouvelle réglementation comprend une procédure simplifiée destinée au traitement des différends dont la valeur litigieuse est inférieure ou égale à CHF 250’000.- et de ceux pour lesquels les parties se sont entendues sur l’application de cette procédure (art. 41).
Cette procédure simplifiée tend à circonscrire la durée et les coûts de la procédure, raison pour laquelle, sauf convention contraire des parties, elle est confiée à un seul arbitre qui tranchera la cause sur la base d’un unique échange d’écritures et à l’issue d’une audience unique, à moins que les parties conviennent que le litige doit être tranché sur pièces exclusivement. De plus, dans le cadre d’une telle procédure, l’arbitre est tenu de rendre une sentence arbitrale sommairement motivée dans un délai de six mois suivant la réception du dossier, étant précisé que les parties peuvent renoncer à la motivation.
F. La procédure de constat urgent
Nouveauté de la révision, l’annexe du nouveau règlement SIA contient la grande originalité de la réforme, à savoir la procédure de constat urgent. Cette procédure s’applique en complément à la procédure ordinaire, si les parties en ont convenu ainsi. Elle leur permet en cas d’urgence d’obtenir, dans un délai de 30 jours, une décision en constatation (positive ou négative) par rapport à une liste exhaustive de questions.
Les cas d’application de cette procédure correspondent à des situations par rapport auxquelles les parties ont, en pratique, un intérêt à obtenir une clarification rapide.
Cette voie n’est toutefois ouverte que si la problématique en question est urgente et ne fait pas déjà l’objet d’une procédure ordinaire. A ce sujet, on relèvera que le Règlement SIA précise que l’urgence est présumée si l’activité de construction a déjà commencé et qu’il n’y a pas lieu d’escompter son achèvement dans les six prochains mois.
Alors que la procédure ordinaire et les autres règlements d’arbitrage permettent uniquement aux parties d’obtenir du tribunal arbitral qu’il ordonne des mesures provisionnelles dans l’attente de l’issue de la procédure, la procédure de constat urgent leur permet d’obtenir une sentence finale limitée à la question faisant l’objet de la procédure de constat urgent.
III. Les autres modifications
Au titre des autres innovations méritant d’être mentionnées, l’on citera notamment la nouvelle réglementation en matière d’administration des preuves qui tend à atténuer les exigences liées à la maxime des débats (art. 24), l’instauration d’une règle destinée à régir la problématique du défaut d’une partie (art. 26) et l’insertion d’un chapitre dédié à la question des frais de procédure (art. 36 à 40).
Ainsi, s’agissant de l’administration des preuves, l’art. 24 permet aux parties de compléter leur exposé des faits en insérant des renvois spécifiques au contenu de l’un ou l’autre document déposé. De plus, cette disposition permet au tribunal arbitral de tenir également compte de faits qui ne font pas partie de la narration des parties, mais qui découlent des pièces produites. Enfin, si les allégations de fait d’une partie sont peu claires, contradictoires, imprécises ou incomplètes, le tribunal arbitral peut interpeller la partie concernée afin qu’elle complète son exposé des faits et les cas échéant son offre de preuves.
Alors que la version précédente ne contenait qu’une seule et unique disposition à ce sujet, la nouvelle règlementation contient un chapitre dédié à la question des frais de la procédure et qui traite notamment les frais d’enregistrement, l’avance de frais, les honoraires et frais du tribunal arbitral, la répartition des frais de procédure et les dépens (art. 36-40). Outre la particularité relative à la répartition des frais évoquée ci-avant (supra II. C.), le règlement se distingue par rapport au fait que, contrairement à d’autres règlements d’arbitrage, le Règlement SIA ne prévoient pas de barème pour le calcul des honoraires des arbitres qui ont droit à une rémunération raisonnable. Bien qu’il puisse être reproché à cette règle d’engendrer une certaine forme d’incertitude, en pratique, différentes solutions s’offrent aux parties pour pallier à cette absence de prévisibilité. Enfin, il précise que s’agissant de l’allocation des dépens qu’il décide librement, le tribunal arbitral doit tenir compte tant de l’issue de la procédure, du comportement des parties durant la procédure et de la mesure dans laquelle les parties ont fait preuve de bonne foi dans la demande ou la défense (art. 39).
IV. Conclusion
Résolument tournée vers la recherche d’une résolution amiable des différends, force est de constater que cette nouvelle réglementation s’inscrit dans l’air du temps. Par ailleurs, en ouvrant sur les critères de décision que sont la technicité et la complexité des litiges en matière de construction et la nécessité pour les parties d’obtenir une solution rapide à leur difficulté, les auteurs de la révision ont su renforcer de manière bien pensée et convaincante les avantages que présente une procédure arbitrale par rapport à une procédure devant les juridictions étatiques ordinaires.
La procédure de constat urgent, principale innovation de la révision, devrait indubitablement augmenter l’attrait du Règlement SIA par rapport à d’autres règlements d’arbitrage, étant précisé qu’il est parfaitement envisageable que ce règlement puisse trouver application dans un contexte international.”