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La présente note porte sur la question de savoir si une banque peut se prévaloir d’un droit de gage sur les avoirs de son client pour s’opposer à une demande de restitution du client au motif qu’elle est exposée à devoir faire face à une action révocatoire (“claw-back claim”) engagée par le Trustee de la Masse en faillite de Bernard Madoff ou par les liquidateurs des feeders funds.
1. Arrêt du Tribunal fédéral du 21 février 2012
La question de savoir si une banque peut s’opposer à la restitution des avoirs de son client dans le contexte des procédures ouvertes aux Etats-Unis dans l’affaire Bernard L. Madoff avait fait l’objet d’un arrêt du Tribunal fédéral rendu le 22 février 2012 (1). Cet arrêt, qui concernait une procédure opposant une banque (actionnée aux Etats-Unis) et son client était toutefois limité à la question de savoir si l’on se trouvait dans une situation juridique claire, soit dans une situation où l’état de fait n’est pas litigieux et où la situation juridique est claire (art. 257 CPC). Le Tribunal fédéral a jugé qu’il ne s’agissait pas d’un cas clair : l’argument selon lequel il n’existe pas de créance contre la banque n’a pas de pertinence car la créance contestée grève déjà le patrimoine de la banque ; alors que le profit du placement a été crédité sur le compte du client, la question est notamment celle de savoir si la cliente ne serait pas illégitimement enrichie.
2. Jugement de la Chambre patrimoniale vaudoise du 1er mai 2014
La Chambre patrimoniale du Canton de Vaud a rendu le 1er mai 2014 un jugement incident concernant le cas d’une banque qui n’était pas (encore) actionnée aux Etats-Unis (2). La banque avait procédé pour le compte de client à des placements dans des fonds gérés par la société Bernard L. Madoff Investment Securities LLC (“BLIMS”). Les parts ayant été remboursées et les montant correspondants crédités sur le compte du client, la banque demeurait exposée à des actions révocatoires ainsi qu’à des actions contre le “subsequent transferee”. Alors qu’elle s’opposait à la demande du client de restitution des avoirs, la banque a été actionnée par le client. La Chambre patrimoniale a prononcé que la banque était au bénéfice d’un droit de gage, décision ayant fait l’objet d’un appel pendant devant la Cour d’appel civile (tribunal cantonal du canton de Vaud). La décision de première instance n’a donc pas force de chose jugée. Elle présente néanmoins une première prise de position dans une affaire concernant la relation entre les banques et leurs clients dans le contexte d’investissements effectués dans les fonds gérés par BLIMS.
Le client soutenait que la créance n’existait pas et que le risque allégué s’il devait se réaliser ne donnerait naissance à aucune créance, les remboursements ayant été effectués plus de deux ans avant la faillite de BLIMS en décembre 2008. La banque invoquait notamment le droit à être libérée des obligations contractées pour le compte du mandant (art. 402 al. 1 in fine CO), l’obligation du mandant de procurer les montants nécessaires ou de fournir des sûretés ainsi que l’existence d’un droit de gage.
La Chambre patrimoniale cantonale a en premier lieu examiné si la banque était au bénéfice d’un droit de gage. L’objet du droit de gage, qui portait sur tous les actifs détenus directement ou indirectement par la banque, était suffisamment déterminé au moment de la constitution du droit de gage. La créance garantie, qui se rapportait à toutes les dettes et obligations, présentes ou futures, qui découlent d’une relation d’affaire déterminée était déterminable dès lors qu’elle découle de la gestion d’un compte déterminé. La Chambre patrimoniale a donc retenu qu’un droit de gage avait pris naissance en faveur de la banque.
La Chambre patrimoniale a en second lieu examiné si le droit de gage avait (ou non) pris fin. Le client invoquait que la créance doit exister au moment de l’exercice du droit de gage et que, cette créance n’existant pas lorsque la banque s’est opposée à la demande de restitution du client, le droit de gage n’existait pas non plus. La banque a invoqué qu’elle ne faisait pas valoir son gage au sens de l’art. 891 al. 1 CC, mais s’opposait à la restitution de l’objet du gage.
La Chambre patrimoniale a jugé que l’art. 891 CC ne réglait que les effets du droit de gage, tandis que les articles 888 et 889 CC régissaient l’extinction du droit de gage. La question de savoir si et à quel moment le créancier gagiste est tenu de restituer l’objet du gage, respectivement est en droit de le conserver, est ainsi réglée par l’art. 889 al. 1 CC. Suivant l’opinion de la doctrine, la Chambre patrimoniale a jugé que s’agissant de créances futures, la chose grevée ne doit être restituée que s’il est établi que la créance ne prendra pas naissance. Les pièces du dossier permettaient de conclure que la banque est exposée à des poursuites judiciaires ; en revanche, il n’avait pas été établi par le client que la créance ne prendra en aucun cas naissance.
Ainsi, la Chambre patrimoniale a jugé que, du fait de l’existence de son droit de gage sur des créances présentes ou futures découlant de la relation d’affaires, la banque disposait d’un droit de gage valable lui permettant de bloquer le compte du client en vue de garantir toutes les créance découlant de la relation d’affaire y compris des créances non encore exigibles et ce en dépit du fait qu’elle n’avait pas encore été actionnée par le Trustee de BLMIS ou les liquidateurs des “feeders funds”.
(1) Décision du Tribunal fédéral N° 4A_443/2011 du 22 février 2012
(2) Décision de la Chambre Patrimoniale vaudoise du 1er mai 2014, cause N° PT11.021751 Decision of the Federal Tribunal N° 4A_443/2011 dated 22 February 2012
(3) Decision of the Patrimonial Chamber of 1st May 2014, case number PT11.021751