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Le principe de la stabilité des plans d’aménagement remis en question par des initiatives populaires ? Le projet “Les Grands-Prés” à Montreux en forme d’exemple.
I. Initiative populaire communale “Sauver les Grands-Prés”
A l’issue du scrutin populaire du 18 juin 2023, l’initiative communale “Sauver les Grands-Prés” a été acceptée à 71% par les habitants de la Commune de Montreux (la Commune) alors que le Conseil communal et la Municipalité avaient recommandé de la rejeter.
L’initiative tend à l’abrogation du plan partiel d’affectation (PPA)[1] N° 193 en vigueur et à l’adoption en remplacement pour le même périmètre d’un nouveau PPA dont les caractéristiques sont les suivantes : obtenir le classement immédiat et durable de la parcelle dite “Les Grands Prés” en zone de verdure non constructible afin qu’elle soit valorisée pour promouvoir la biodiversité.
Cette parcelle constituant l’un des derniers terrains encore constructibles de la Commune, l’initiative a principalement attaqué un important projet de construction sur cette dernière. Ledit projet y prévoyait la création d’un écoquartier avec plus de 200 appartements dont une partie à loyer abordable ou modéré.
Après l’acceptation de l’initiative, la Municipalité a pris acte du résultat de la votation et s’est engagée à mettre en œuvre le processus découlant de cette décision.
II Contexte en amont de l’initiative
Afin de mieux appréhender les défis auxquels la Commune est désormais confrontée, il faut comprendre le contexte des différents plans d’aménagement qui s’appliquent à ce terrain particulier.
Le PPA N° 193 a été adopté par Conseil communal de Montreux le 8 novembre 2017 et approuvé le 23 juillet 2018 par le Département du territoire (devenu le Département des institutions, du territoire et du sport[2]). Ce plan prévoyait de manière générale la construction d’un nouveau quartier avec logements et activités tertiaires favorisant la cohésion sociale. En septembre 2022, la Commune a décidé de délivrer les premiers permis de construire pour des bâtiments à édifier dans le périmètre du PPA.
En parallèle, deux procédures judiciaires ont été menées jusqu’au Tribunal fédéral pour aboutir, en avril 2020, à l’annulation du plan général d’affectation (PGA)[3] établi par la Commune[4]. Ceci a eu pour conséquence de redonner, par défaut, une actualité au plan de zones datant de 1972 lequel prévoit une zone à bâtir largement surdimensionnée par rapport aux nouvelles exigences du droit fédéral.
A la suite des arrêts rendus par notre Haute Cour, la Municipalité a été contrainte de reprendre la mise en conformité de son dispositif d’affectation du sol en vue de l’adoption d’un nouveau PGA conforme aux exigences du droit fédéral. Dans le cadre de cette procédure, la Municipalité a adopté un plan de zones réservées[5] en novembre 2021, afin de suspendre temporairement la constructibilité de certains terrains dont les éventuelles (futures) demandes d’autorisation de construire pourraient rendre difficile la planification de l’aménagement de son territoire[6]. La parcelle dite “Les Grands Prés” a quant à elle été exclue dudit plan. En septembre 2022, ce plan a été approuvé par le DITS. Ce dispositif de zones réservées a fait, aux termes des délais légaux, l’objet de plusieurs recours. A ce jour, le plan en question n’est toujours pas entré en vigueur.
III Conséquences juridiques de l’acceptation de l’initiative
La votation favorable du 18 juin 2023 soulève d’intéressantes questions juridiques quant à sa mise en œuvre ainsi que son impact sur les autorisations de construire rendues.
1. Respect du droit supérieur
La mise en œuvre d’une telle initiative interroge sur le respect du droit supérieur et du scrutin populaire : une initiative communale demandant l’abrogation d’un PPA communal récent violerait-elle le droit fédéral ?
L’art. 21 al. 2 de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire (LAT) prévoit que les plans d’aménagement sont uniquement révisés “lorsque les circonstances se sont sensiblement modifiées“.
La Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal vaudois (CDAP) a eu l’opportunité de se prononcer sur cet aspect dans le cadre du recours déposé par un administré de la Commune à l’encontre de la décision autorisant la récolte des signatures pour l’initiative « Sauver les Grands-Prés »[7].
Les juges cantonaux ont rappelé que l’initiative populaire, formulée en termes généraux, doit être mise en œuvre selon la procédure habituelle et stricte prévue par la Loi vaudoise sur l’aménagement du territoire et les construction (LATC). En particulier et dans ce cadre, les autorités de planification restent tenues d’appliquer l’art. 21 al. 2 LAT, à savoir procéder à une pesée des intérêts aux termes de laquelle elles doivent se prononcer sur la révision, respectivement l’abrogation du PPA N° 193 en vigueur.
Ce n’est que si elles arrivent à la conclusion que les circonstances se sont sensiblement modifiées, que la procédure tendant à l’abrogation dudit PPA pourrait être entamée. C’est ce processus, couplé avec la procédure de la vérification de l’initiative au droit supérieur en amont de la récolte des signatures, qui évite que le résultat de la mise en œuvre ne viole le droit de l’aménagement du territoire. En d’autres termes que la décision du peuple respecte le principe de la stabilité des plans d’aménagement prévu à l’art. 21 al. 2 LAT.
Il convient encore de préciser que ce processus doit être réalisé dans un délai de quinze mois à compter de la votation, conformément à la loi vaudoise sur l’exercice des droits politiques (LEDP), une prolongation de six mois étant toutefois possible.
En résumé, l’acceptation de l’initiative « Sauver les Grands Prés », laquelle modifie l’aménagement et la planification du périmètre concerné n’entraîne pas directement une modification du PPA N° 193 attaqué. Au contraire, la Commune doit à présent suivre le cheminement de la procédure ordinaire d’approbation d’un plan d’affectation, (pesée d’intérêt, révision/abrogation du plan, enquête publique et entrée en vigueur) afin de pouvoir adopter dans le délai susmentionné un nouveau plan mettant en œuvre texte de l’initiative.
2. Le sort des autorisations des construire
Le résultat de l’initiative pose une seconde interrogation : celle de savoir ce qu’il adviendra des permis de construire d’ores et déjà délivrés en lien avec le PPA N° 193.
En acceptant le texte « Sauver les Grands-Prés », les montreusiennes et montreusiens ont indiqué à la commune leur volonté de conserver le périmètre concerné libre de toutes constructions.
Aussi et si les autorités communales jugent que les conditions sont réalisées pour mettre en œuvre l’initiative et par conséquent remplacer le PPA N° 193 par un nouveau plan, les autorisations de construire délivrées en lien avec le PPA précité deviendront vraisemblablement sans objet et devront par conséquent être annulées ou révoquées par l’autorité qui les a rendues.
Reste en suspens la question de savoir si les titulaires desdits permis requerront de la Commune une indemnisation pour les frais d’ores et déjà engagés depuis leur délivrance.
IV Conclusion
L’exemple récent de la votation populaire concernant les Grands-Prés démontre que les initiatives populaires portant sur l’aménagement et la planification du territoire peuvent soulever certaines interrogations quant à la conformité de leur mise en œuvre avec le droit fédéral supérieur.
Cela étant et compte tenu de l’importance que revêt en Suisse le scrutin populaire, la Commune de Montreux devrait vraisemblablement conclure que les conditions pour la révision, respectivement l’abrogation du PPA N° 193 sont réunies et entamer le processus d’adoption d’un plan conforme au texte de l’initiative « Sauver les Grands-Prés ».
Voyons donc dans quinze mois si ce pronostic se sera avéré correct !
[1] Un plan partiel d’affectation communal règle le mode d’utilisation du sol et les conditions de constructions sur une partie du territoire de la commune.
[2] DITS
[3] Un plan général d’affectation communal règle les mêmes points qu’un PPA, mais sur l’ensemble du territoire de la commune.
[4] Arrêts du TF, 1C_449/2018 et 1C_632/2018.
[5] Un plan de zones réservés communal permet de suspendre temporairement la constructibilité des secteurs sur lesquels des plans d’affectation doivent être révisés, modifiés ou élaborés. Il équivaut à une affectation temporaire.
[6] Commune de Montreux, Zones réservées – Rapport justificatif selon l’article 47 OAT, p. 7.
[7] Arrêt de la Cour constitutionnelle du Tribunal cantonal vaudois, CCST.2022.0006, du 2 décembre 2022.