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Selon la Loi fédérale sur l’acquisition d’immeubles par des personnes à l’étranger (LFAIE), l’acquisition d’immeubles par des personnes à l’étranger est subordonnée à une autorisation de l’autorité compétente, sauf dans les cas prévus de manière exhaustive aux art. 2 al. 2 et art. 7 LFAIE. Selon l’art. 2 al. 2 let. a LFAIE, l’autorisation n’est toutefois pas nécessaire si l’immeuble sert d’établissement stable à des fins commerciales, industrielles ou artisanales. L’art. 3 de l’Ordonnance sur l’acquisition d’immeubles par des personnes à l’étranger (OAIE) précise par ailleurs qu’il n’y a pas établissement stable si le bâtiment est affecté à la construction ou à la location, à titre professionnel, de logements qui ne font pas partie d’un hôtel ou d’un appart-hôtel.
Dans l’ATF 147 II 281, déjà commenté dans une de nos précédentes publications1, le Tribunal a fédéral a rappelé que la notion d’établissement stable doit être interprétée de manière restrictive. Seule l’acquisition d’immeubles entrant dans le champ d’application de l’art. 2 al. 2 LFAIE, à savoir ceux au sein desquels l’activité économique de l’entreprise est exercée, échappent à l’application de la Lex Koller.
S’agissant d’un projet de construction d’appartements par un hôtel, notre Haute Cour a jugé que la création d’appartements destinés au personnel ne constitue pas une extension de l’hôtel en tant qu’établissement stable servant à une activité commerciale. De tels appartements sont réputés avoir une fonction résidentielle et leur construction est donc assujettie au régime d’autorisation.
Dans l’arrêt précité, les juges de Mont-Repos ont exclu une interprétation large de la notion d’établissement stable compte tenu du texte de la norme et du but principal de la LFAIE. Selon eux, une telle position est par ailleurs confirmée par le refus d’assouplissements des conditions de la LFAIE.
A la suite de cet arrêt, une motion parlementaire (22.4413) a été déposée le 14 décembre 2022. Selon le dépositaire, M. Martin Schmid, l’interprétation de l’art. 3 OAIE donnée par le Tribunal fédéral est trop restrictive. Elle aggrave considérablement le manque de logements et la situation difficile du personnel hôtelier dans les régions touristiques.
Par conséquent, cette motion vise à ancrer l’élargissement de la notion d’établissement stable dans l’ordonnance susmentionnée afin que les logements destinés au personnel hôtelier soient considérés comme faisant partie d’un établissement stable et propose que l’art. 3 OAIE soit reformulé comme suit :
“Il n’y a pas d’établissement stable au sens de l’article 2, alinéa 2, lettre a, LFAIE, si l’immeuble est affecté à la construction ou à la location, à titre professionnel, de logements qui ne font pas partie d’un hôtel ou d’un appart-hôtel. Ne sont pas concernés les logements dont un hôtel ou un appart-hôtel se sert pour héberger le personnel nécessaire à l’exploitation.”
Les défendeurs de la motion espèrent que cette modification facilitera l’exploitation des hôtels ainsi que le recrutement de personnel saisonnier dans la branche hôtelière. Gérer un hôtel demande beaucoup de personnel, qu’il faut héberger sur place, un impératif qui s’impose tant au niveau de l’exploitation que du recrutement. Dans les entreprises saisonnières des régions de montagne surtout, la mise à disposition de possibilités de logements temporaires est un critère décisif pour pouvoir embaucher des collaborateurs. Le logement dans les destinations touristiques est cher et les appartements vacants sont rares. De plus, compte tenu des horaires de travail appliqués dans l’hôtellerie, les trajets ont plus d’importance que pour un travail de bureau car le trajet pour les heures de chambre est généralement effectué quatre fois par jour et non seulement deux.
En parallèle, ils comptent sur cette adaptation de la loi pour encourager les propriétaires d’hôtel à construire des immeubles résidentiels destinés au personnel, ce afin de diminuer la pénurie de logements pour les habitants locaux qui sévit en particulier dans les communes à vocation touristique.
Malgré la proposition de rejet de la motion formulée par le Conseil fédéral le 15 février 2023, cette dernière a été adoptée par le Conseil des Etats à une large majorité (27 voix contre 9, avec 5 abstentions). A l’appui de sa position de refus, le Conseil fédéral estime qu’une simple modification de l’OAIE ne saurait solutionner ces problèmes bien trop complexes selon lui, soit la pénurie de logements et les difficultés de recrutement de personnel saisonnier qui en découle.
Mais le Conseil fédéral craint surtout un assouplissement trop important de la LFAIE, lequel aurait pour conséquence de permettre à des personnes à l’étranger de procéder à des investissements de capital dans le bâti, alors même que le but principal de la LFAIE est de les en empêcher.
Rappelons-nous que la LFAIE, depuis son adoption en 1983, a fait l’objet de plusieurs aller-retours entre assouplissement et durcissement. La tendance vers un assouplissement de la LFAIE, notamment avec l’introduction de la notion d’établissement stable, a culminé dans la proposition faite par le Conseil fédéral en 2013 d’abroger purement et simplement la loi. L’abrogation a finalement été refusée, mais le Parlement a continué à adopter de nouvelles exceptions au régime d’autorisation.
Pendant la pandémie de COVID-19, le Conseil national a proposé un durcissement de la LFAIE, craignant que les entreprises étrangères disposant de capitaux importants profitent de la crise pour acquérir à bas prix les immeubles d’entreprises suisses en rachetant ces dernières. Le Conseil fédéral a toutefois recommandé de rejeter de cette proposition, ce que le Conseil des Etats a fait le 15 mars 2022.
Affaire à suivre donc : il sera intéressant de voir si cette nouvelle motion parviendra à faire vaciller la position du Conseil fédéral visant au maintien du statu quo, vers un assouplissement de la Lex Koller ou si les voix appelant à un durcissement vont prendre le dessus.