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Qu’il s’agisse d’une transformation ou d’une nouvelle construction de grande envergure, les projets de construction peuvent représenter un défi tant sur le plan technique que juridique. Il n’est pas rare que l’ouvrage promis par l’entrepreneur ne soit pas réalisé conformément au contrat. L’expérience montre qu’il est possible de trouver un accord entre les parties pour la réparation de défauts mineurs, mais que les avis des parties divergent souvent fortement en cas de défauts graves entraînant des coûts de réparation élevés. Dans ce cas, la partie qui doit apporter la preuve, à savoir le maître d’ouvrage dans la majorité des cas, a tout intérêt à vérifier et à préserver la preuve du défaut de l’ouvrage (ou de la partie d’ouvrage) en question.
Contexte
Qu’il s’agisse d’une transformation ou d’une nouvelle construction de grande envergure, les projets de construction peuvent représenter un défi tant sur le plan technique que juridique. Il n’est pas rare que l’ouvrage promis par l’entrepreneur ne soit pas réalisé conformément au contrat. L’expérience montre qu’il est possible de trouver un accord entre les parties pour la réparation de défauts mineurs, mais que les avis des parties divergent souvent fortement en cas de défauts graves entraînant des coûts de réparation élevés. Dans ce cas, la partie qui doit apporter la preuve, à savoir le maître d’ouvrage dans la majorité des cas, a tout intérêt à vérifier et à préserver la preuve du défaut de l’ouvrage (ou de la partie d’ouvrage) en question.
En particulier dans le cas d’un projet de construction à plusieurs niveaux, avec une exécution échelonnée ou simultanée des travaux par plusieurs entrepreneurs, il existe un risque de destruction des preuves d’un défaut, à moins qu’un rapport d’expertise ne soit établi sur l’état litigieux de l’ouvrage.
En fonction de la complexité des faits et des questions techniques qui y sont liées, les acteurs de la construction se trouvent parfois dans l’impossibilité de tirer les conséquences juridiques découlant des défauts signalés.
Il est donc fréquent que l’une ou l’autre des parties soit amenée à mandater un expert afin d’évaluer l’ouvrage ou la partie d’ouvrage prétendument défectueux, sans informer en détail la partie adverse de la mission confiée. Une telle démarche peut par exemple être motivée par la volonté de clarifier la situation en matière de preuves disponibles avant d’engager une procédure judiciaire coûteuse.
Pourtant, quelle est la valeur probatoire de ces expertises dites privées dans un éventuel procès civil en matière de construction selon le code de procédure civile (CPC) actuel ? Et quelle sera l’influence de la révision du CPC qui entrera en vigueur le 1er janvier 2025 (révision du CPC) sur la qualification procédurale des expertises privées1 ?
Expertise privée selon le CPC en vigueur
En règle générale, les expertises privées sont mandatées unilatéralement par un intervenant dans la construction avant le procès. Elles ont pour but d’examiner et, le cas échéant, de prouver techniquement un défaut présumé dans un ouvrage commandé. Lors de l’introduction ultérieure d’une telle expertise privée dans un procès civil en matière de construction, il convient toutefois de noter que le CPC en vigueur n’autorise que les formes de preuve suivantes à des fins probatoires : témoignage, document, inspection, expertise (judiciaire ou arbitrale), information écrite et interrogation des parties ainsi que déposition (art. 168 al. CPC). Partant, une expertise privée – à la différence d’une expertise judiciaire ou arbitrale1 – n’a en principe pas de valeur probante, d’autant plus que l’expert privé n‘est tenu ni à la vérité ni à l’impartialité. En conséquence, le Tribunal fédéral soutient que l’expertise privée n’est pas un moyen de preuve admissible au sens du CPC, qui permet de prouver une allégation des parties en cas de contestation par la partie adverse (arrêt du Tribunal fédéral 4A_286/2011 du 30 août 2011, consid. 4 ; ATF 141 III 433, consid. 2.6). Toujours est-il que, selon la jurisprudence de notre Cour suprême, les allégations des parties qui s’appuient sur une expertise privée sont considérées comme particulièrement détaillées (par exemple en ce qui concerne la plausibilité de l’existence d’un défaut ; ATF 141 III 433, consid. 2.6). Ainsi, une contestation générale de la partie adverse ne suffit pas. Au contraire, elle est tenue de contester de manière circonstanciée les allégations de fait établies sur la base d’une expertise privée.
Expertise privée selon le CPC révisé
Avec la révision du CPC, les expertises privées seront désormais expressément inscrites dans la loi en tant que documents (et non en tant qu’expertises). Elles constituent donc un moyen de preuve admissible et sont soumises à la libre appréciation des preuves par le tribunal concerné. Avec cette modification, le législateur a réagi explicitement à la jurisprudence du Tribunal fédéral, qui avait refusé de qualifier les expertises privées de moyens de preuve. Le Parlement a également tenu compte de l’idée que la production d’une expertise privée par une partie n’entraîne pas en soi de doutes sur sa valeur probante.
Les conséquences pratiques sur l’administration et l’appréciation des preuves dans le cadre de la procédure sous le CPC révisé doivent encore être mises en évidence lors de futurs procès. Ainsi, il sera toujours possible pour un tribunal de demander une expertise judiciaire dans certaines circonstances, par exemple si, après la production d’une expertise privée sur laquelle le tribunal souhaite s’appuyer exclusivement, des doutes importants subsistent quant à l’exactitude des résultats en raison d’un manque de connaissances spécialisées.
Conclusion
Selon le CPC en vigueur, une expertise privée ne peut pas être introduite comme moyen de preuve admissible dans un procès civil alors qu’elles sont particulièrement significatives en matière de construction afin de prouver l’existence d’un défaut. Néanmoins, les expertises privées sont souvent importantes à l’heure actuelle parce qu’elles sont généralement moins chères qu’une expertise judiciaire et parce qu’elles peuvent examiner de manière très plausible et détaillée un défaut présumé ainsi qu’appuyer les allégations de la partie ayant mandaté l’expert. De plus, une expertise judiciaire n’est souvent pas une option réaliste pour des raisons de temps et/ou de risque de dommages consécutifs importants.
La mise en œuvre de la révision du CPC vise à adapter une situation juridique insuffisante. Ainsi, à l’avenir, les expertises privées seront expressément considérées comme des documents et constitueront un moyen de preuve admissible. Ainsi, les procès en matière de construction connaîtront des améliorations procédurales sur un point essentiel et faciliteront notamment l’administration de la preuve par la partie au litige tenue d’en supporter le fardeau, tout en donnant aux tribunaux compétents la possibilité d’évaluer ces expertises privées (en tant que moyens de preuve) en fonction de leur crédibilité et de les mettre en balance avec les preuves de la partie adverse. La révision du CPC s’agissant des expertises privées doit donc être saluée.
1Nous vous renvoyons également à notre article du 9 mars 2022: Johner, Stucki, Modification du statut de l’expertise privée dans le CPC : revirement de jurisprudence en vue ?, MLL News Portal, 9 mars 2022