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Lors de la première vague de Covid-19 au début de l’année, le Conseil fédéral a notamment ordonné la fermeture des installations accessibles au public, ce qui a de facto entraîné la cessation d’activités de divers établissements. La question s’est posée, tant pour les locataires concernés que pour leurs propriétaires, de savoir si cette fermeture imposée par les autorités aurait un impact sur les contrats bail en cours. Dès lors que le Parlement a finalement décidé début décembre 2020 de ne pas créer de base légale pour une possible exonération de loyer liée au Coronavirus, plusieurs questions restent désormais en suspens.
Cet article est aussi disponible en allemand.
Commençons tout d’abord par une brève une rétrospective : les mesures de lutte contre le Coronavirus édictées par le Conseil fédéral le 13 mars 2020 comprenaient notamment l’obligation de fermer les installations accessibles au public, sous réserve d’exceptions. En conséquence, de nombreux établissements ont été contraints de fermer leurs portes, notamment certains commerces ainsi que les restaurants et les salons de coiffure. Ces interdictions ont ensuite été progressivement levées. Les salons de coiffure ont ainsi été autorisés à rouvrir le 27.Le 11 mai 2020, les magasins et les restaurants ont eux aussi pu à nouveau ouvrir leurs portes. Pour la plupart des établissements concernés, une exploitation “normale” a été possible durant l’été. Cependant, avec l’augmentation du nombre d’infections à l’automne 2020, les mêmes établissements, en particulier de restauration, ont une nouvelle fois dû fermer dans certains cantons. Bien que la Confédération a dans un premier temps renoncé à prononcer la fermeture des restaurants à l’échelle nationale, les cantons restaient libres d’adopter des mesures plus incisives en raison de l’existence d’une situation extraordinaire selon l’art. 6 de la Loi sur les épidémies. Les cantons de Suisse occidentale ont pour leur part fait usage de cette possibilité dès la fin octobre 2020.
Le loyer reste-t-il dû durant la fermeture imposée de l’établissement?
Depuis le semi-confinement imposé par le Conseil fédéral au printemps 2020, un débat s’est créé autour de la question de savoir si les locataires restaient tenus de payer leur loyer durant la période de fermeture imposée de leur établissement. Il n’existe aucun précédent jurisprudentiel permettant d’y répondre clairement. Plus particulièrement, il s’agit de déterminer si la fermeture d’un établissement, ordonnée par les autorités, constitue un défaut au sens du droit du bail, ce qui accorderait au locataire les droits correspondants (cf. art. 259a ss CO). Cette interrogation n’est toujours pas résolue, du moins pas par notre Cour suprême. Une importante insécurité juridique subsiste ainsi à ce jour pour les locataires et les propriétaires concernés. Cependant, si un défaut devait être établi, le locataire aurait en principe la possibilité, en se prévalant de l’art. 259d CO, d’obtenir une réduction du loyer (pouvant aller jusqu’à 100% dans certaines hypothèses).
Les circonstances décrites ci-dessus ont également soulevé la question de savoir si le locataire pouvait invoquer d’autres bases légales afin de ne pas être tenu de payer – du moins en partie – le loyer. A cet égard, une révision du contrat est certes envisageable par le biais de la théorie de l’imprévision, également appelée “clausula rebus sic stantibus”. Cela présuppose toutefois (i) un changement fondamental des circonstances après la conclusion du contrat causant un déséquilibre durable et particulièrement grave du contrat et (ii) que ce changement était imprévisible et inévitable au moment de la conclusion du contrat.
Pas de solution politique à l’échelle nationale à la suite du refus de la Loi Covid-19 sur les loyers commerciaux
En raison des incertitudes juridiques susmentionnées, une solution politique a rapidement été demandée pour atténuer l’effet des mesures affectant les exploitants de locaux commerciaux. Toutefois, peu après l’adoption des restrictions décidées au printemps 2020, le Conseil fédéral a affirmé qu’il n’entendait pas réglementer cette question par voie d’ordonnance et intervenir ainsi dans les relations de droit privé entre locataires et propriétaires. Il convenait au contraire aux parties de trouver conjointement des solutions constructives et pragmatiques. Lors de la session d’été 2020, le Parlement a néanmoins chargé le gouvernement de présenter un projet de loi (Loi Covid-19 sur les loyers commerciaux) prévoyant une exonération partielle des loyers pour la période en question. Par la suite, le 1er juillet 2020, le Conseil fédéral a ouvert une procédure de consultation de l’avant-projet. Le message concernant la Loi Covid-19 sur les loyers commerciaux a quant à lui été approuvé le 18 septembre 2020. Alors que le Parlement soutenait encore durant l’été 2020 une remise extraordinaire sur les loyers commerciaux applicable à la “première vague”, le projet de Loi Covid-19 sur les loyers commerciaux a été définitivement enterré au début de la session d’hiver par les deux chambres fédérales. Une solution politique à l’échelle nationale n’entre donc plus en ligne de compte.
Le principal argument contre une telle solution politique était notamment que la loi interviendrait rétroactivement dans les relations contractuelles privées. Il a également été avancé que la loi ne tenait pas compte des différents degrés d’incidence des mesures de fermeture sur les établissements concernés et que la solution proposée interviendrait manifestement trop tardivement pour la majorité d’entre eux, ce d’autant plus qu’une entrée en vigueur rapide de la loi apparaissait “probablement illusoire” en raison du risque de référendum. Le Conseil fédéral, qui n’a jamais souhaité une exemption partielle des loyers commerciaux, s’est référé à un rapport selon lequel il n’existe que peu d’éléments permettant d’établir réellement les difficultés rencontrées par les locataires. Le rapport indique au contraire que les parties au contrat de bail ont été étonnamment nombreuses à conclure des accords prévoyant des réductions de loyer.
Les opposants à la Loi Covid-19 sur les loyers commerciaux suggèrent de faire appel aux fonds pour les cas de rigueur
Suite au rejet de la Loi Covid-19 sur les loyers commerciaux, l’accent a été mis sur le fait que les locataires concernés devraient désormais pouvoir être aidés par les fonds mis en place par la Confédération pour les cas de rigueur. Il reste à voir si cela sera réellement possible. D’une manière ou d’une autre, le processus sera compliqué pour les locataires en raison de la mise en œuvre différenciée entre les cantons (certains versent en effet des contributions à fonds perdus, d’autres devraient au contraire n’octroyer que des prêts) et de l’examen au cas par cas auquel devront procéder ces derniers. Ces divergences cantonales entraîneront également des coûts supplémentaires pour les locataires dont l’activité s’étend à plusieurs cantons. Enfin, dans de nombreux cas, il faudra probablement encore attendre longtemps avant que les fonds en question ne soient effectivement disponibles.
Les solutions mises en œuvre au niveau cantonal
La situation est en revanche un peu plus favorable pour les locataires au niveau cantonal. A titre d’exemple, les organisations genevoises de propriétaires (l’USPI Genève et la Chambre genevoise immobilière) ont conclu le 6 avril 2020 un accord (baptisé “Vesta“) avec l’Etat de Genève et l’ASLOCA Suisse romande, visant à venir en aide aux propriétaires désireux de soutenir leurs locataires commerciaux. A certaines conditions, l’Etat de Genève s’est engagé à indemniser partiellement les propriétaires qui acceptent de dispenser leur locataire de payer tout ou partie du loyer du mois d’avril, puis également les loyers de mai et juin 2020. Cet accord a d’ailleurs été reconduit début novembre pour les loyers de novembre et décembre 2020. Les cantons de Vaud et de Fribourg ont développé des solutions similaires pour les PME. En Suisse alémanique, les deux demi-cantons bâlois ont mis en place des solutions pour les loyers de la première vague. Cependant, un certain délai pour former une demande était imposé aux locataires souhaitant bénéficier des aides cantonales (par exemple, d’ici la fin septembre 2020 dans le canton de Bâle-Ville dans le cadre du “Dreidrittel-Rettungspakets“). Il reste à voir si d’autres cantons, en particulier ceux qui ont ordonné la fermeture des établissements de restauration en automne 2020, proposeront à l’avenir des solutions similaires. En tout état de cause, il est conseillé de suivre l’évolution de la situation afin de ne pas manquer de faire une demande dans les délais impartis.
La priorité doit être donnée aux pourparlers
Compte tenu de l’insécurité juridique exposée plus haut – et aussi de la dimension mondiale et nationale du problème – en particulier dans les cantons où aucune solution cantonale n’a été présentée jusqu’à présent, nous recommandons aux parties au contrat de bail de s’entendre pour tenter de trouver un accord amiable au sujet d’une potentielle exonération de loyer. Il faut en effet garder à l’esprit que tout litige éventuel peut durer des mois, voire des années. Or, il sera souvent préférable de trouver des solutions rapidement en vue d’éviter toute faillite éventuelle, tant pour le locataire que pour le bailleur.
Le tribunal : une solution de dernier recours
S’il n’est pas possible de parvenir à un accord amiable, les parties (le locataire, s’il entend par exemple requérir une baisse de loyer; le propriétaire, notamment si le locataire a du retard dans le paiement du loyer) n’auront en fin de compte d’autre choix que de saisir les tribunaux pour faire valoir leurs droits.
Un juge sera alors appelé à examiner les questions qui se posent dans chaque cas particulier, notamment sur la base du contrat bail conclu entre les parties. Pour déterminer si le loyer était effectivement dû au moment de la fermeture de l’établissement imposée par les autorités, le fait que le contrat de bail contienne une disposition régissant ce genre de situations (par exemple une clause de force majeure) jouera un rôle important. Cela est néanmoins rarement le cas en pratique, même si ce n’est pas exclu. Par ailleurs, si le bail contient une obligation d’exploitation à charge du locataire – ce qui est une pratique courante, par exemple dans les baux conclus dans les centres commerciaux – la situation se complique encore davantage. Dans tous les cas, il est fortement recommandé aux deux parties, locataires ou propriétaires, de demander l’avis préalable d’un expert en matière de droit du bail.