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Le présent article vise à traiter de manière relativement succincte quelques arrêts fondamentaux rendus en matière de droit du bail par le Tribunal fédéral, respectivement par certains tribunaux cantonaux, au cours de l’année 2021.
Modification du loyer à l’expiration de la durée initiale du bail indexé (ATF 147 III 32 du 5 janvier 2021)
En vertu de l’art. 269b CO, les parties peuvent conclure un contrat de bail prévoyant une clause d’indexation à deux conditions : (1) le bail doit être conclu pour une période de cinq ans au moins et (2) l’indice utilisé doit être l’ISPC. La clause d’indexation a pour but de garantir que le loyer suivra l’évolution du coût de la vie et d’offrir au locataire d’un bail de longue durée un mode de fixation clair du loyer.
Au début d’un bail prévoyant des loyers indexés, le locataire a la possibilité d’ouvrir action en contestation du loyer initial aux conditions de l’art. 270 CO, ce droit étant expressément rappelé par l’art. 270c CO.
Durant la durée initiale du bail, le loyer ne peut, par avis de majoration de loyer (art. 269d CO), être adapté qu’au renchérissement selon l’ISPC, à l’exclusion de tout autre motif de hausse.
A l’expiration de la durée initialement prévue, chaque partie peut, en respectant le délai de résiliation, solliciter une modification du loyer, que le bail prévoie une reconduction tacite pour une nouvelle durée de cinq ans ou pour une durée inférieure (art. 269d et 270a CO). A cet égard, il n’est pas contesté que le demandeur (locataire ou bailleur) puisse invoquer la méthode relative à l’appui de son action, permettant d’examiner l’évolution de la relation contractuelle afin de vérifier que celle-ci est toujours conforme à la volonté exprimée par les parties.
Dans l’arrêt cité en titre, le Tribunal fédéral a retenu que le locataire ne peut se prévaloir de la méthode absolue du rendement net dans le cadre de son action en diminution du loyer, dans la mesure où il a déjà la possibilité d’agir en contestation du loyer initial en invoquant la méthode absolue et le rendement excessif des fonds propres au début du bail. Pour mémoire, la méthode absolue jauge le montant du loyer pour lui-même, indépendamment des rapports contractuels liant les parties, afin de vérifier qu’il n’est pas abusif.
Notre Haute Cour a ainsi considéré que le fait de donner au locataire la faculté d’invoquer à nouveau la méthode absolue à l’expiration de la durée initiale du bail, voire encore à chaque nouvelle reconduction tacite pour une durée de cinq ans au minimum, ne serait pas admissible car cela reviendrait à contourner le délai et les conditions de l’action en contestation du loyer initial de l’art. 270 CO.
Contestation du loyer initial (Arrêt du TF 4A_183/2020 du 6 mai 2021)
En cas de contestation du loyer initial, le caractère abusif du loyer est présumé lorsque l’augmentation est importante (soit nettement supérieure à 10%) par rapport au précédent loyer et qu’elle ne s’explique pas par la variation du taux hypothécaire de référence ou de l’ISPC.
Selon les considérants de cet arrêt, le fait que le bail précédent ait été de longue durée, à savoir en principe entre 15 et 20 ans au moins, constitue un indice pouvant contribuer à renverser la présomption selon laquelle le nouveau loyer est abusif, sans pourtant la rendre d’emblée inapplicable.
Si le tribunal considère que le bailleur est parvenu à créer des doutes fondés concernant cette présomption, celle-ci ne s’applique plus et il appartient au locataire de démontrer le caractère abusif du loyer en présentant au minimum cinq logements comparables ou en se fondant sur une statistique officielle.
Résiliation pour des motifs économiques (Arrêt du TF 4A_69/2021 du 21 septembre 2021)
Lorsque le bail porte sur une habitation ou un local commercial, un congé est annulable lorsqu’il contrevient aux règles de la bonne foi. Dans ce cadre, le motif de la résiliation revêt une importance décisive. A teneur de l’art. 271 al. 2 CO, le congé doit être motivé si l’autre partie le demande. Une motivation lacunaire ou fausse constitue un indice d’une absence d’intérêt digne de protection à la résiliation.
Or, un congé doit être considéré comme abusif lorsqu’il ne répond à aucun intérêt objectif, sérieux et digne de protection.
Dans l’arrêt mentionné en titre, le Tribunal fédéral souligne que la résiliation donnée par un bailleur pour optimiser le rendement de son bien, c’est-à-dire pour obtenir d’un nouveau locataire un loyer plus élevé, mais non abusif, n’est en règle générale pas abusive. Il faut cependant que le bailleur soit en mesure d’exiger d’un nouveau locataire un loyer supérieur à celui payé jusque-là par le locataire congédié. En d’autres termes, le congé est annulable si l’application de la méthode absolue de calcul du loyer permet d’exclure l’hypothèse que le bailleur puisse majorer légalement le loyer, parce que celui-ci est déjà conforme au prix du marché et lui procure un rendement suffisant au sens de l’art. 269 CO et de la jurisprudence y relative.
A cet égard, le juge peut uniquement déterminer si une augmentation de loyer serait admissible en application de la méthode absolue ; il ne peut pas se prononcer sur le caractère abusif ou non d’une augmentation de loyer déterminée, ni fixer le loyer maximal non abusif.
Finalement, le Tribunal fédéral a rappelé dans son arrêt que le fardeau de la preuve d’un congé contraire aux règles de la bonne foi appartient au demandeur à l’action en annulation, soit le locataire. Néanmoins, le bailleur qui résilie le contrat de bail a le devoir de contribuer loyalement à la manifestation de la vérité en fournissant tous les éléments en sa possession nécessaires à la vérification du motif qu’il invoque, en particulier toutes les pièces pertinentes, faute de quoi il peut se voir opposer l’absence de preuve du motif de résiliation qu’il a allégué.
Validité de la formule officielle (Arrêt du TF 4A_592/2020 du 12 octobre 2021)
La formule officielle de fixation du loyer initial exigée par l’art. 270 al. 2 CO doit être notifiée au locataire au moment de la conclusion du bail ou, au plus tard, le jour de la remise de la chose louée. Elle a pour but d’informer le locataire, en lui fournissant toutes les indications utiles, de la possibilité qu’il a de saisir l’autorité de conciliation afin de contester le montant du loyer initial. Elle sert également à empêcher les hausses abusives de loyer lors d’un changement de locataire, de sorte que l’indication du loyer versé par le précédent locataire doit y figurer.
De manière générale, en cas de contestation de la remise de la formule officielle au locataire, il appartient au bailleur de prouver avoir effectivement mis tant le contrat de bail que la formule officielle dans l’enveloppe envoyée. Par exception, la jurisprudence retient que lorsque le contrat de bail, dont la réception n’est pas contestée, mentionne que la formule officielle y est annexée, alors la réception de celle-ci est présumée, pour autant que le bailleur soit en mesure de produire une copie ou une photocopie de cette formule officielle contenant les indications nécessaires pour le bail en question.
Dans l’arrêt en question, le Tribunal fédéral a cependant retenu que cette présomption ne couvre que la notification de la formule et qu’à l’inverse, l’on ne saurait présumer que le bailleur a notifié une formule officielle recto-verso et complète par le simple fait qu’il indique sur le contrat de bail que la formule officielle y est annexée. Il lui appartient par conséquent de prouver la notification d’une formule recto-verso et complète au locataire, faute de quoi il doit supporter l’échec de cette preuve.
Or, en l’occurrence, les deux originaux produits par les parties en procédure n’étaient pas identiques. Le locataire avait produit une formule originale signée par le bailleur, qui ne comportait pas de verso. Bien que le bailleur ait pour sa part été en mesure de produire un original recto-verso signé par les deux parties, le Tribunal fédéral a considéré qu’il n’était pas parvenu à démontrer que le formulaire reçu par le locataire était complet et donc valable. En conséquence, la nullité partielle du bail en ce qui concerne le loyer initial a été confirmée.
Réduction de loyer et COVID-19 (décision JTBL/565/2021 du Tribunal des baux et loyers du canton de Genève du 28 juin 2021 et décision MJ210008-L du Mietgericht du canton de Zurich du 2 août 2021)
La pandémie que nous vivons a créé des incertitudes juridiques sur de nombreux aspects, tout du moins à son commencement. Alors qu’il n’existait pas de jurisprudence à ce sujet, l’une des questions qui s’est posée était de savoir si les locataires dont les commerces ont été provisoirement fermés à la suite des mesures ordonnées par le Conseil fédéral et/ou les autorités cantonales pour lutter contre le coronavirus devaient continuer à payer leur loyer tant que leur activité n’avait pas pu reprendre ou, au contraire, s’ils pouvaient prétendre à une diminution – voire une dispense de paiement – du loyer.
Dans ce contexte, une partie de la doctrine affirmait que ces fermetures ordonnées par les autorités fédérales et/ou cantonales en raison de la pandémie constituaient un défaut de la chose louée.
Les premières décisions rendues à cet égard concernaient le droit de la poursuite et de la faillite, plus précisément la procédure de mainlevée. Dans deux arrêts rendus le 23 avril 2021 par le Bezirksgericht Zurich, la juge a considéré que le contrat de bail ne constituait pas un titre de mainlevée suffisant pour obtenir le paiement des loyers en souffrance, dans la mesure où il était “incontestable que la prestation du bailleur n’avait pas été fournie comme la locataire aurait pu s’y attendre au vu du contrat conclu“. En revanche et bien que ce point ne relève pas de sa compétence, la juge a relevé dans ces décisions que les mesures prises par les autorités fédérales et/ou cantonales n’entraînaient pas un défaut de la chose louée, ni une impossibilité pour le bailleur de remplir ses obligations contractuelles. Seule demeurait alors ouverte la question de la clausula rebus sic stanti-bus (i.e. un changement important et imprévisible de circonstances entraînant un déséquilibre tel que la répartition des risques prévue par le contrat n’est plus supportable pour une partie et que l’autre partie, en persistant à demander l’exécution, exploite le déséquilibre créé et abuse ainsi manifestement de son droit).
Si ce premier arrêt avait déjà donné le ton en faveur des bailleurs, le fond de la question a été abordé en cours d’année dans les décisions cantonales citées en titre, rendues par les juridictions spécialisées en matière de bail à loyer du canton de Genève, respectivement de Zurich. Tous deux ont considéré, à l’issue d’une analyse détaillée, que la fermeture des établissements ordonnée par les autorités fédérales ou cantonales en lien avec la crise sanitaire du COVID-19 ne constitue pas un défaut de la chose louée donnant droit à une réduction (voire une exonération totale) du paiement du loyer sur la base de l’art. 259d CO. En particulier, ils ont retenu que la chose louée demeurait dans un état approprié à l’usage pour laquelle elle a été louée au sens de l’art. 256 CO, les mesures ordonnées par les autorités fédérales ou cantonales n’ayant pas visé directement la mise à disposition de la chose louée, mais uniquement les activités qui y étaient exercées et qui risquaient de favoriser la transmission du virus. Il a été souligné que les locataires n’auraient en effet pas non plus pu exercer leurs activités dans d’autres locaux.
Les deux tribunaux précités ont également examiné si les conditions d’une impossibilité au sens de l’art. 119 CO étaient réalisées, ce qui aurait impliqué une libération de l’obligation de payer le loyer. Dans les cas d’espèce, les tribunaux cantonaux ont toutefois considéré que les conditions d’une libération n’étaient pas remplies dès lors que la mise à disposition de la chose louée par le bailleur demeurait possible.
La question de savoir si la situation constituait un cas d’application de la clausula rebus sic stantibus a quant à elle été laissée ouverte par les tribunaux, les locataires n’ayant pas démontré dans le cas d’espèce que les conditions permettant une adaptation judiciaire du contrat seraient remplies.
A notre connaissance, la procédure d’appel a finalement été abandonnée par les parties et l’Obergericht n’a donc pas eu à se prononcer sur la question. Il faudra ainsi attendre encore quelque peu avant que le Tribunal fédéral se prononce à ce sujet.