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Les régimes dérogatoires et temporaires en matière fiscale et d’assurances sociales, prévus dans l’Accord COVID conclu entre les autorités suisses et françaises le 13 mai 2020, arrivent à échéance au 30 juin 2022. Le régime provisoire concernant l’assujettissement à la sécurité sociale a été prolongé jusqu’au 31 décembre 2022, tandis qu’il apparaît que l’accord fiscal a été prolongé in extremis pour une durée de trois mois, soit jusqu’au 31 octobre 2022. Nous examinerons ici quelles sont les incidences de cette situation sur la pratique du télétravail par les travailleurs frontaliers.
1. Contexte
La crise sanitaire a contraint de nombreux travailleurs frontaliers, qu’il s’agisse de salariés bénéficiant d’un permis G ou de citoyens suisses domiciliés en France, dont le lieu de travail est situé sur le territoire suisse, à rester chez eux et à pratiquer le télétravail pendant plusieurs mois. Sous l’angle fiscal, pour faire face à cette situation exceptionnelle, la France et la Suisse ont conclu le 13 mai 2020 un accord amiable appelé “Accord COVID”[1], permettant de déroger temporairement à l’application des dispositions de la Convention de double imposition du 9 septembre 1966 (CDI de 1966). Cet accord a été prolongé à plusieurs reprises et court jusqu’au 30 juin 2022. Néanmoins, les deux Etats ont annoncé ce jour avoir opté pour une nouvelle prolongation de l’accord, dans l’attente qu’une solution pérenne puisse être trouvée. Le régime dérogatoire fiscal restera ainsi applicable jusqu’au 31 octobre 2022.
S’agissant de l’assujettissement aux assurances sociales, les autorités franco-suisses ont convenu dans l’Accord COVID à l’application flexible des règles d’assujettissement prévues par le Règlement européen CE 883/2004 (Règlement CE), en application des accords européens prévus à ce sujet durant la période de pandémie.
Ces règles provisoires sont également applicables jusqu’au 30 juin 2022. Les membres de la Commission administrative de l’Union européenne pour la coordination des systèmes nationaux de sécurité sociale se sont toutefois mis d’accord le 14 juin 2022 pour prolonger cette application flexible des règles d’assujettissement pendant une phase transitoire jusqu’au 31 décembre 2022. L’accord franco-suisse sur la sécurité sociale a par conséquent également été prolongé jusqu’à cette date.
2. Impact du télétravail sur l’assujettissement aux assurances sociales
2.1 Règlement CE et Accord COVID
En application du Règlement CE, applicable entre la Suisse et les pays de l’Union européenne, les travailleurs frontaliers domiciliés en France sont soumis au régime de sécurité sociale de l’Etat où ils exercent leur activité lucrative, soit le régime suisse (art. 11 al. 3 let. a Règlement CE).
Toutefois, si le travailleur frontalier pratique de manière régulière le télétravail à domicile pendant 25% ou plus de ses jours de travail, il est assujetti exclusivement au système social de son lieu de domicile, soit le système français dans notre cas (art. 13 al. 1 let. b i) Règlement CE).
En raison de la pandémie, les autorités suisses et françaises ont réglé la question de l’assujettissement à la sécurité sociale dans le cadre de l’Accord COVID du 13 mai 2020.
Selon les termes de cet accord, les salariés frontaliers restent assujettis au régime de la sécurité sociale suisse, et ce même si la proportion de télétravail en France dépasse 25%. Nous relevons encore qu’aucune différence de traitement n’est appliquée entre les différents types de frontaliers (permis G ou citoyens suisses résidant en France).
Le 14 juin 2022, ce régime dérogatoire a été prolongé jusqu’au 31 décembre 2022. Selon les partenaires, cette prolongation a été voulue comme une phase transitoire. En effet, les règles d’assujettissement devraient être aménagées ou interprétées à partir du 1er janvier 2023 afin qu’une certaine proportion de télétravail puisse être effectué dans l’Etat de résidence sans que la compétence en matière de sécurité sociale ne change.
Aussi et jusqu’au 31 décembre 2022, la pratique actuelle du télétravail par les employés frontaliers mise en place par les entreprises genevoises peut perdurer, sans craindre un assujettissement de ces employés au régime de sécurité sociale français. Les employeurs suisses devraient néanmoins rester préparés à adapter rapidement leurs règles internes relatives au télétravail lorsque les nouvelles directives verront le jour.
L’on rappellera encore que conformément à l’art. 327a du Code des obligations, l’employeur doit rembourser à l’employé tous les frais imposés par l’exécution du travail. Aussi, l’employeur doit rembourser les frais nécessaires à l’accomplissement du travail que l’employé a dû supporter en raison du télétravail. On pensera notamment aux surcoûts générés par des communications téléphoniques professionnelles. En revanche, les frais personnels et fixes que le travailleur supporte habituellement, tels que le loyer de son domicile, l’abonnement à internet ou encore les frais de téléphonie privée, reste à sa charge.
3. L’imposition du télétravail transfrontalier
3.1 La CDI de 1966 et l’Accord COVID
Conformément à la CDI de 1966, la portion de la rémunération du travailleur frontalier liée à l’activité qu’il a déployée à son domicile en France, et non à son lieu de travail habituel en Suisse, est imposable en France.
A Genève et dans les cantons qui n’ont pas conclu d’accord international spécifique avec la France (comme le canton de Fribourg par exemple), l’employeur d’un travailleur frontalier est tenu de prélever un impôt à la source, conformément à la législation cantonale applicable. L’employeur prélève ainsi un impôt à la source suisse sur l’intégralité du salaire de l’employé frontalier (art. 17 et 25 CDI de 1966).
Sous le régime temporaire de l’Accord COVID, en substance, les revenus relatifs à des jours de travail qui n’ont pas été effectués comme d’habitude dans l’Etat du siège de l’employeur, en Suisse, mais temporairement à domicile, en France, en raison des mesures de lutte contre la pandémie, restent imposés en Suisse.
Ainsi, tant que l’Accord COVID est en vigueur, le télétravail des frontaliers n’a pas d’impact sur les pratiques des employeurs en matière d’impôt à la source. Ils doivent continuer à prélever l’impôt à la source suisse sur l’intégralité de la rémunération du collaborateur, et ce, même pour la portion correspondante aux jours de télétravail en France. Selon les dernières informations à disposition, ce régime dérogatoire restera en vigueur jusqu’au 31 octobre 2022.
En revanche, en cas de non-reconduction de cet accord à son échéance, l’imposition du télétravail des frontaliers pourrait rendre la pratique du télétravail très difficile, voire impossible. En effet, si aucune nouvelle prolongation de l’accord dérogatoire n’est conclue, les dispositions topiques de la CDI de 1966, qui prévoient une imposition dans l’Etat d’exercice effectif de l’activité lucrative (art. 17 et 25 CDI de 1966), qui prévoient une imposition dans l’Etat d’exercice effectif de l’activité lucrative (art. 17 et 25 CDI de 1966), seront à nouveau applicables. Ainsi, la portion de la rémunération du travailleur frontalier liée à l’activité qu’il effectue à son domicile en France sera imposable dans cet Etat et ce, dès le premier jour de télétravail réalisé. Cela signifie que si le frontalier télétravaille même une seule journée, il est imposable en France sur la portion correspondant à ce seul jour travaillé à domicile.
A cet égard, il convient toutefois de distinguer entre l’emploi exercé dans le secteur public et celui dans le secteur privé. Dans ce dernier cas, la nationalité du frontalier n’a aucun impact sur les modalités d’imposition de sa rémunération. En revanche, les jours de télétravail en France d’un frontalier de nationalité suisse exerçant une activité dans la fonction publique en Suisse resteront imposables en Suisse.
Des discussions sont en cours depuis plusieurs mois entre les autorités suisses et françaises, afin d’aboutir à une solution pérenne. A l’heure actuelle, il n’y a toutefois aucune certitude que les règles dérogatoires seront maintenues après le 31 octobre 2022, respectivement au sujet des modifications du régime qui pourraient être adoptées. Les entreprises genevoises devront donc faire preuve de prudence et être prêts à adapter leur réglementation interne dès la fin de l’été.
4. Conclusion
Les régimes dérogatoires provisoires conclus entre la Suisse et la France pendant la pandémie de Covid-19 ont permis l’essor du télétravail à domicile des deux côtés de la frontière, en simplifiant les modalités d’imposition du travail à domicile pour les travailleurs frontaliers ainsi que leur assujettissement aux assurances sociales.
Nous ne pouvons donc que nous réjouir de la prolongation au 31 décembre 2022 de l’accord dérogatoire concernant l’assujettissement au système de sécurité sociale convenue au niveau européen.
S’agissant du volet fiscal, le sursis octroyé jusqu’au 31 octobre 2022 est lui aussi bienvenu. Toutefois, rien n’est acquis et il est recommandé aux entreprises genevoises de faire preuve de prudence dans la mise en œuvre au long terme du télétravail des travailleurs frontaliers, dans la mesure où les réglementations sont susceptibles d’évoluer à brève échéance.
En conclusion, l’avenir pérenne du télétravail des frontaliers domiciliés en France est entre les mains des autorités concernées. La suite qui sera donnée aux prolongations respectives convenues pour les deux régimes dérogatoires sera de toute évidence très attendue.
Affaire à suivre, donc !
[1] Imposition du télétravail des frontaliers – Prolongation de l’Accord COVID jusqu’au 30 juin 2022, Direction générale de l’Administration Fiscale Cantonale et Département des finances et des ressources humaines, 25 mars 2022.
[2] L’art. 271 du code pénal suisse qui stipule que « Celui qui, sans y être autorisé, aura procédé sur le territoire suisse pour un État étranger à des actes qui relèvent des pouvoirs publics, celui qui aura procédé à de tels actes pour un parti étranger ou une autre organisation de l’étranger, celui qui aura favorisé de tels actes, sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire et, dans les cas graves, d’une peine privative de liberté d’un an au moins ».