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Marchés publics et avions de combat


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Le 30 juin 2021, le Conseil fédéral a annoncé sa décision de procéder à l’achat de 36 avions de combat de type F-35A du fabricant américain Lockheed Martin et de cinq unités de feu Patriot produites par l’entreprise américaine Raytheon. L’accueil de cette nouvelle fut passablement tourmenté, principalement en raison du fait que la sélection de ce modèle d’avion a été faite selon des critères définis par l’offre publique, sans réelle prise en compte de la question géostratégique.

Selon le communiqué du Conseil fédéral, le F-35A présente la plus haute utilité globale, tout en étant près de 2 milliards de francs meilleur marché que le deuxième candidat le moins cher concernant les coûts globaux, regroupant les coûts d’acquisition et d’exploitation sur 30 ans[1].  La sélection de cette acquisition selon le prix et des critères de performance est tantôt problématique pour une partie du public, tantôt soutenue par les milieux plus conservateurs.  En effet, selon l’opinion de la presse et des milieux socialistes, avec une vision plus géostratégique, ce sont les appareils européens, le français Rafale ou l’anglo-italo-hispano-allemand Eurofighter qui se seraient imposés. Certains estiment d’ailleurs que l’acquisition d’un avion européen aurait été susceptible d’apaiser la tension entre la Suisse et ses voisins européens.

La nouvelle loi sur les marchés publics (LMP) est entrée en vigueur le 1er janvier 2021. Les procédures d’adjudication engagées avant l’entrée en vigueur du nouveau droit se tiennent en application de l’ancien droit des marchés publics[2], à savoir la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics (aLMP) et l’ordonnance du 11 décembre 1995 sur les marchés publics (aOMP). Or, il est intéressant de signaler que l’acquisition d’armes, de munitions ou de matériel de guerre n’entrait pas dans le champ d’application de la aLMP[3]. Considérée comme « des autres marchés », ce type d’acquisition est réglée par l’aOMP[4]. Pour sa part, la LMP prévoit la faculté pour le pouvoir adjudicateur de ne renoncer à assujettir un marché déterminé à la LMP lorsque l’exemption est jugée nécessaire pour la protection et le maintien de la sécurité extérieure ou intérieure ou de l’ordre public (cf. art. 10 al. 4 let. a LMP), ce qui pourrait parfaitement être le cas s’agissant de l’acquisition d’avions de combat.

En juillet 2018, Le Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) a fixé ses critères d’adjudication, invitant les fabricants d’avions de combat à soumissionner. Le Conseil fédéral est l’autorité compétente pour la décision de l’adjudication et conformément à la procédure, le marché est adjugé au soumissionnaire ayant présenté l’offre la plus avantageuse économiquement[5].

Ainsi, lorsque Madame la Conseillère fédérale Viola Amherd affirme, lors d’une interview donnée à l’émission de la RTS Forum[6], que le département fédéral de la défense était obligé, par la loi, de choisir l’appareil le plus avantageux économiquement, elle se réfère à cet article 37 aOMP, applicable aux critères d’adjudication. La procédure d’évaluation a été opérée autour de critères dits d’utilité (l’efficacité, le support du produit, la coopération et la participation directe de l’industrie) et du critère du coût. Une analyse coût-utilité a ainsi permis de comparer les appareils en lice et de sélectionner celui qui était le meilleur du point de vue de l’utilité et le plus avantageux financièrement.

La démarche des autorités suisses est quelque peu singulière. En effet, en général, les Etats ne soumettent pas l’acquisition du matériel de guerre à la loi sur les marchés publics ou alors, lorsqu’ils y sont obligés, ils utilisent la procédure de gré à gré, dans laquelle l’état adjuge un marché directement, sans lancer d’appel d’offres, et sans passer par un processus de sélection entre soumissionnaires. Pour l’acquisition de matériel de guerre en Suisse, il est prévu que la procédure de gré à gré est possible si c’est pour maintenir, dans le pays, des entreprises importantes pour la défense nationale étant indispensable[7]. Ainsi, la critique du public porte principalement sur le choix de la procédure faite par le DDPS. Il aurait été favorable, pour certains, d’attribuer l’acquisition des avions de combat à la procédure de gré à gré, en ne se limitant pas au choix du « plus avantageux financièrement » entre les soumissionnaires. Néanmoins, à la lettre de la loi, l’adjudicateur « peut » mais n’est pas obligé de choisir cette procédure dans les cas où les conditions d’application sont remplies. Ici, le DDPS a ainsi choisi d’ouvrir le marché à un plus grand nombres de candidats. Ceci peut se comprendre du fait que cette acquisition est un sujet d’opinion publique sur lequel le peuple a récemment voté.

La frustration des parties s’opposant à cette acquisition ressort notamment du fait que la majorité des informations acquises lors de l’acquisition de matériel de guerre est classée secret-défense et que cette confidentialité empêche le public de prendre connaissance de l’entier des documents dans le cadre de la procédure de sélection et en conséquence, de se faire une opinion fondée sur le choix du Conseil fédéral.

Le Projet Air2030, accepté à une très courte majorité en septembre 2020 n’est donc pas terminé. À la suite de l’annonce du 30 juin 2021, Airbus a indiqué analyser « intensivement » la décision du Conseil fédéral et d’autres concurrents ont annoncé leur déception. Néanmoins, selon la LMP et l’aLMP et aOMP, la décision d’adjudication du Conseil fédéral n’est pas sujette à recours[8].

De plus, après avoir été annoncée, une initiative, nommée « Stop F-35 » a été lancée le 31 août 2021 par une coalition constituée du groupe une Suisse sans armée, du parti socialiste, des Verts et des Jeunes-Verts. Elle demande la création d’un art. 197 ch. 13 dans la Constitution fédérale, interdisant expressément à la Confédération d’acheter des avions de combat de type F-35[9].

En automne, le parlement se prononcera sur la décision du Conseil fédéral. Les prochaines semaines seront décisives, avec le développement de l’initiative et les débats parlementaires au sujet de l’acceptation ou du rejet de cette acquisition.

[1] Conformément au Communiqué de presse du Conseil fédéral, « le F-35A est également l’avion le plus avantageux de tous les fournisseurs au niveau des coûts d’exploitation. Les coûts globaux qui regroupent les coûts d’acquisition et d’exploitation se montent à environ 15.5 milliards de francs sur 30 ans pour le F-35A. La différence avec le deuxième candidat le moins cher est de l’ordre de 2 milliards. »

[2] Art. 62 LMP (loi fédérale du 21 juin 2019 sur les marchés publics ; RS 172.056.1)

[3] Art. 3 al. 1 let. e aLMP

[4] Art. 1 let. b aOMP ; la procédure d’adjudication est réglée aux articles 32 à 39 aOMP.

[5] Art. 37 aOMP

[6] Emission Forum de la RTS du 30 juin 2021, disponible sous https://www.rts.ch/info/suisse/12315263-lavion-de-combat-americain-f35-a-ete-choisi-par-le-conseil-federal.html

[7] Art. 36 al. 2 let. f aOMP

[8] Art. 39 aOMP énonce que les décisions en matière d’adjudication pour les « autres marchés » ne sont pas sujettes à recours ; l’art. 52 al. 5 LMP énonce que les décisions relatives aux marchés publics visés à l’annexe 5 let.c ne sont pas sujettes à recours (soit l’acquisition d’armes, de munitions, de matériel de guerre)

[9] https://stop-avionsdecombat.ch/wp-content/uploads/2021/08/Argumentaire_F-35-1.pdf, p. 9


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