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À l’heure où, en raison de la pandémie de coronavirus (COVID-19), tout semble s’être arrêté, où 3 milliards de personnes sont confinées chez elles et où toutes les formes d’activité économique sont ralenties, les obligations contractuelles continuent tout de même d’exister : a priori le loyer doit être versé, le produit doit être fabriqué, la marchandise doit être livrée et l’ouvrage doit être terminé.
Pourtant, en ces temps inédits, nombreuses sont les prestations qui ne pourront être exécutées, ou alors seulement avec des retards importants. Les intérêts respectifs de chacun des partenaires contractuels ont considérablement changé par rapport à la situation initiale au moment de la conclusion du contrat.
Que faire alors, lorsque la situation paraît inextricable ?
Cette question fait l’objet d’une grande incertitude car, jamais jusqu’alors, nous n’avions été confrontés à une crise comparable à celle du COVID-19, où une situation sanitaire critique a donné lieu à des mesures gouvernementales (en Suisse, mais également à l’étranger) qui restreignent largement notre champ d’actions et, par voie de conséquence, la possibilité d’honorer nos obligations. L’on dispose certes d’un certain nombre de concepts légaux (pt 3.2) et, parfois, de clauses contractuelles (pt 3.1) susceptibles d’être invoqués ; il n’existe toutefois pas ou peu de jurisprudences directement applicables, qui nous permettraient de nous orienter quant à la manière dont ils seront concrètement appliqués en pratique par les autorités judiciaires. Des mesures procédurales ont en outre été prises par la Confédération (pt 3.3).
1. Problématique et risques : résiliation du contrat, dommages-intérêts
Pour le débiteur de la prestation, le danger est de se retrouver en situation de demeure ou d’être dans l’impossibilité de pouvoir honorer ses engagements, avec des conséquences potentiellement lourdes à supporter.
D’une part, sous réserve de stipulation contraire, dès le moment où il se trouve en demeure, le débiteur d’une somme d’argent doit des intérêts moratoires à 5 % l’an et réparer l’éventuel dommage supplémentaire subi par son créancier.
D’autre part, après l’échéance d’un délai convenable dit « de grâce », le partenaire contractuel (créancier de la prestation) peut choisir d’exercer l’une des trois options suivantes (art. 109 du Code suisse des obligations, CO) : continuer à demander l’exécution de la prestation ainsi que le versement de dommages-intérêts pour cause de retard, ou renoncer à l’exécution de la prestation et réclamer des dommages-intérêts pour cause d’inexécution, ou se départir du contrat.
Quelle que soit l’option choisie, le débiteur en demeure n’a alors d’autre choix que de se soumettre à la décision de son partenaire contractuel, qui peut avoir des conséquences graves. En particulier, si le créancier de la prestation décide de se départir du contrat, le rapport contractuel est annulé avec effet ex tunc et les parties doivent se restituer les prestations déjà effectuées pour se retrouver dans la situation qui aurait prévalu si le contrat n’avait jamais existé – avec toutefois une réserve importante en faveur des contrats de durée (par exemple un contrat de licence et de fabrication) où seules les prestations futures sont concernées par l’annulation du contrat.
Le débiteur en demeure pourra néanmoins tenter de s’exonérer du paiement de dommages-intérêts en démontrant que le retard ne lui est en aucun cas imputable.
2. Solutions envisageables
2.1 Les clauses contractuelles
Il est fréquent qu’au moment de la négociation et de la conclusion du contrat, les parties elles-mêmes aient prévu des clauses, telles que la clause de négociation ou la clause de de force majeure, qui permettent de rééquilibrer l’accord, en cas de circonstances extraordinaires.
La clause de renégociation ou d’adaptation oblige généralement les parties à renégocier les termes du contrat si l’exécution des obligations qu’il contient devient considérablement plus difficile, voire même déraisonnable en raison de nouvelles circonstances. Ce type de clause est souvent lié à l’obligation d’engager une médiation, qui peut aider à trouver (rapidement) un terrain d’entente entre les parties, hors procédure judiciaire.
D’origine anglo-saxonne, la clause de force majeure figure souvent dans les contrats avec une portée internationale. En règle générale, elle dispense les parties de l’obligation de prester et les exonère de toute responsabilité en raison du défaut d’exécution dans les situations où la prestation contractuelle est devenue extrêmement difficile, voire impossible en raison d’une situation extérieure et imprévisible, qui ne leur est pas imputable, qu’elle soit temporaire ou définitive (cas de force majeure). La clause contient généralement une liste exemplative d’évènements qui tombent sous la notion de force majeure.
La question de savoir si la crise du COVID-19 peut être qualifiée de force majeure dépend de la manière dont la clause contractuelle est concrètement formulée : Si elle fait explicitement mention d’une pandémie, la réponse est donnée ; dans le cas contraire, il est nécessaire de l’interpréter selon la réelle et commune intention des parties.
À noter que, même en l’absence de telles clauses, les parties restent en tout temps libres de modifier le contrat d’un commun accord, en vertu du principe de liberté contractuelle, à condition de respecter les formes éventuellement prévues. De manière générale, il est recommandé modifier le contrat par écrit afin de se préserver de tout risque de litige futur.
2.2 Les concepts légaux
Si le contrat ne contient ni clause de négociation, ni clause de force majeure ou autre disposition contractuelle utile, et que les parties ne parviennent pas à trouver spontanément un arrangement, à tout le moins temporaire, pour passer la période de crise, la situation doit être évaluée au regard du droit applicable.
Sous le régime du droit suisse, c’est le Code des obligations suisse qui détermine le sort réservé aux contrats dont les prestations contractuelles sont touchées par la crise, en distinguant notamment les cas où l’exécution reste possible, bien que difficile, de ceux où elle est devenue impossible.
Ainsi, le principe de l’imprévision ou clausula rebus sic stantibus s’applique lorsque l’exécution de l’obligation contractuelle n’est pas impossible, mais qu’en raison de circonstances imprévisibles et postérieures à la conclusion du contrat, il existe une disproportion tellement évidente entre prestation et contre-prestation que le fait pour une partie de persister dans sa prétention apparaît abusif. Dans un tel cas, la partie lésée peut saisir le juge pour qu’il adapte le contrat, en le modifiant ou, le cas échéant, en l’annulant si cela est justifié par les circonstances.
Trois conditions doivent ainsi être réunies pour que le principe de l’imprévision trouve application, à savoir (1) un changement de circonstances survenu après la conclusion du contrat, (2) qui n’aurait pas pu être raisonnablement prévu selon le cours normal des événements, et (3) qui provoque un déséquilibre grave dans la relation contractuelle.
Dans les circonstances actuelles, l’on peut probablement considérer que les deux premières conditions sont satisfaites. La troisième condition doit quant à elle être évaluée dans chaque cas d’espèce, mais l’on peut certainement partir du principe que de nombreuses relations contractuelles sont gravement déséquilibrées par la situation sanitaire et les mesures étatiques prises afin de lutter contre la propagation du COVID-19 et, partant, devraient pouvoir être adaptées par le juge, en application du principe de l’imprévision.
Il sied toutefois de relever que ce principe a peu été utilisé jusqu’à présent, et toujours de manière restrictive, de sorte qu’il est difficile d’anticiper de quelle manière les tribunaux l’appliqueront à la situation actuelle.
L’impossibilité objective (art. 119 CO) libère les parties de leurs obligations contractuelles respectives, si l’exécution est subséquemment devenue objectivement impossible, en fait ou en droit, de manière durable, pour des raisons qui ne leur sont pas imputables.
L’impossibilité objective donne lieu à une dissolution du contrat avec effet ex nunc, de sorte que les prestations réciproques des parties ne sont plus dues par la suite.
A ce stade, il ne semble pas que la crise du COVID-19 donne lieu, en règle générale, à une impossibilité objective. Quand bien même les mesures gouvernementales rendent impossible l’exécution de certaines prestions, la situation n’est que provisoire et, malgré l’incertitude qui règne, l’on ne saurait considérer que l’on se trouve dans un contexte d’une durée imprévisible assimilable à un empêchement durable.
À noter par ailleurs qu’il n’est jamais considéré comme impossible d’exécuter une dette de genre, dont l’illustration la plus commune est le paiement d’une somme d’argent, sauf si la source de l’impossibilité est d’origine légale.
2.3 Les mesures procédurales
Afin de parer aux différents risques évoqués, la Confédération a instauré une suspension de délais judiciaires, notamment de poursuites, à partir du 19 mars et jusqu’au 19 avril 2020 compris. Concrètement, afin d’offrir un certain répit aux débiteurs, aucun commandement de payer, commination de faillite, avis de saisie et autres actes de poursuite ne peut être notifié durant cette période. Les effets de ces mesures sont toutefois provisoires et ne permettrons pas de remédier aux difficultés à long terme.
3. Conclusions et recommandations
De manière générale, nous recommandons à toute personne en difficulté de rapidement s’adresser à ses partenaires contractuels afin de leur signaler sa situation, d’en documenter les raisons et de tenter de trouver un arrangement sur une base négociée.
Nous nous tenons à disposition de nos clients à définir le ou les objectifs poursuivis dans cette situation inédite et à déterminer le meilleur moyen pour y parvenir.
Dans le cadre d’une procédure judiciaires, nous privilégions souvent une approche pragmatique et, dans la mesure du possible, des discussions avec vos partenaires, afin de trouver des arrangements viables, pour sauvegarder au mieux les intérêts de nos clients.