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Le nouvel article 91 al. 1 de la Loi sur le droit international privé harmonise partiellement la législation suisse avec le droit européen en permettant aux Suisses plurinationaux d’élire un droit national étranger pour leur succession, offrant ainsi une flexibilité bienvenue, bien que celle-ci soit restreinte par le respect des réserves héréditaires suisses.
Le 22 décembre 2023, le Parlement a adopté le projet visant à modifier le chapitre 6 de la loi fédérale sur le droit international privé (LDIP) afin de moderniser le droit suisse régissant les successions internationales et de l’harmoniser avec le droit européen (en particulier le Règlement UE sur les successions1).
Les nouvelles règles en vigueur dès le 1er janvier 2025 offriront plus de possibilités aux personnes possédant des biens en Suisse et à l’étranger pour organiser leur succession, augmentant ainsi la sécurité juridique et la prévisibilité concernant la répartition de leurs biens après leur décès. Cette évolution est particulièrement pertinente dans un contexte de mobilité internationale croissante et d’augmentation des successions internationales.
Droit européen
Sous l’empire du Règlement UE sur les successions2, le testateur peut choisir la loi de l’Etat dont il possède la nationalité au moment du choix ou de son décès pour régir sa succession. S’il a plusieurs nationalités, il peut opter pour la loi de l’un des États concernés.
Un citoyen européen peut donc choisir, à sa guise et sans restriction, l’application du droit d’un État dont il détient la nationalité afin de régler sa succession.
Droit suisse
En droit suisse, l’actuel art. 90 al. 2 LDIP prévoit la possibilité pour les ressortissants exclusivement étrangers uniquement de soumettre leur succession par testament ou pacte successoral au droit de l’un de leurs États nationaux. Les plurinationaux Suisses ne peuvent donc pas, à teneur du droit en vigueur, choisir un autre droit national pour régir leur succession.
Dans son message concernant la modification de la LDIP3, le Conseil fédéral a justifié cette limitation des possibilités d’élection de droit par l’égalité de traitement de tous les citoyens suisses, qu’ils aient une autre nationalité ou non. Toutefois, il observe qu’une telle limitation entraîne également une inégalité entre les plurinationaux suisses et les ressortissants étrangers. Étant donné qu’une inégalité demeure quelle que soit l’option choisie, le Conseil fédéral a décidé d’opter pour la solution harmonisant la loi avec le Règlement UE sur les successions et, par la même occasion, accroissant l’autonomie privée.
En vue donc de s’aligner sur le droit européen en donnant à tous, y compris aux Suisses ayant plusieurs nationalités, la possibilité d’élire un droit national étranger, le Conseil fédéral avait logiquement proposé une refonte de l’article dans ce sens concernant l’élection de droit dans son projet de loi annexé à son message4.
Néanmoins, cette proposition de disposition a fait l’objet de divergences entre le Conseil des États et le Conseil national lors de la procédure parlementaire. En effet, le Conseil des États a souhaité éviter que la révision ne permette à des ressortissants suisses un contournement des règles sur les réserves héréditaires et la quotité disponible. De son côté, le Conseil national a estimé qu’une telle exclusion était contraire à l’esprit de la modification libérale de la LDIP proposée par le Conseil fédéral et destinée à harmoniser le droit suisse avec le droit européen.
Le Conseil national a en définitive proposé un compromis très helvétique à l’art. 91 al. 1 nLDIP afin de laisser aux Suisses plurinationaux la liberté d’élire par testament ou pacte successoral un droit national pour le règlement de leur succession, tout en garantissant le respect des dispositions du droit suisse sur la quotité disponible et les réserves héréditaires.
Partant, la teneur de l’art. 91 al. 1 nLDIP qui a été adopté par le Parlement le 22 décembre 20235 est la suivante :
1.—Une personne peut soumettre sa succession par testament ou pacte successoral au droit d’un de ses États nationaux. Le disposant doit avoir eu la nationalité en question au moment de disposer ou au moment de son décès. Les Suisses ne peuvent déroger aux dispositions du droit suisse sur la quotité disponible.
D’après le projet adopté, il sera donc possible pour les plurinationaux Suisses de choisir un droit successoral étranger. Toutefois, le droit suisse sur les réserves héréditaires reste applicable6. Il sera donc nécessaire de les respecter même en cas d’application d’un droit étranger. Il reste à déterminer si, en pratique, le patrimoine successoral sera défini selon le droit suisse ou selon le droit étranger, soumis à d’autres règles de calcul. La question demeure également de savoir si l’art. 91 nLDIP ouvre la possibilité à un héritier de saisir un tribunal suisse pour exercer une action en réduction, notamment dans le cas où la succession est déjà gérée par des autorités étrangères.
Le respect des réserves héréditaires suisses peut paraître strict de prime abord, mais d’après une étude de l’Office fédéral de la justice, la législation des pays voisins les plus concernés par des situations de double nationalité avec des Suissesses et des Suisses prévoit des réserves héréditaires plus élevées à celles du droit suisse. Par conséquent, l’ajout figurant au projet de l’art. 91 al. 1 nLDIP n’aura en pratique le plus souvent pas d’impact sur les dispositions testamentaires établies par des Suisses plurinationaux, hormis de façon notable pour les Anglo-Saxons.
En effet, cet ajout sera un obstacle plus important dans l’hypothèse d’un Suisse disposant de la nationalité d’un État dans lequel les réserves héréditaires sont inférieures, voire inexistantes, à l’instar des juridictions de common law comme le Royaume-Uni ou les États-Unis.
Il faut aussi relever que, selon l’art. 91 al. 2 nLDIP, une élection de for au bénéfice des autorités suisses pour tout ou partie de la succession d’un Suisse entraîne une présomption réfragable d’élection de droit suisse.
Conclusion
A teneur du droit en vigueur aujourd’hui, un ressortissant étranger peut déjà choisir d’appliquer son droit national à sa succession, offrant ainsi des alternatives possibles au droit suisse, notamment si le droit étranger ne prévoit pas de réserves héréditaires.
Dès le 1er janvier 2025, cette option sera désormais étendue aux ressortissants étrangers détenant également la nationalité suisse (ce qui n’était pas possible sous le régime actuel) mais dans les limites imposées par le respect des réserves héréditaires suisses. Malgré cette contrainte, le recours à un droit étranger pour ces personnes peut élargir le champ des outils de planification successorale à disposition. En fonction du droit étranger applicable, il serait ainsi possible d’établir des trusts par testament, alors que cela reste controversé en droit suisse7.
En somme, le droit suisse introduit plus de liberté pour la planification successorale internationale en faveur des Suisses plurinationaux, ce qui est toujours une bonne chose, même si cette liberté demeure passablement contenue.
Dans tous les cas, la planification des successions internationales est un domaine très complexe sujet à de rapides évolutions d’un pays à l’autre, tant d’un point de vue du droit successoral que fiscal.
La mobilité accrue des familles et entrepreneurs ainsi que la détention toujours plus fréquente d’actifs à l’étranger nécessitent de revoir chaque situation individuellement pour éviter des conflits futurs entre les héritiers et faciliter les démarches avec les autorités suisses et étrangères.
Dans tous les cas, la planification des successions internationales est un sujet très complexe et sujet à de rapides évolutions d’un pays à l’autre, tant d’un
Dans tous les cas, la planification des successions internationales est un sujet très complexe et sujet à de rapides évolutions d’un pays à l’autre, tant d’un
1Règlement (UE) No 650/2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen.
2Art. 22 al. 1.
3FF 2020 3215.
4FF 2020 3259, proposition législative : « Une personne peut soumettre sa succession par testament ou pacte successoral au droit d’un de ses États nationaux. Le disposant doit avoir eu la nationalité́ en question au moment de disposer ou au moment de son décès. »
5FF 2024 32.
6Pour information, les réserves héréditaires ont diminué depuis l’entrée en vigueur du nouveau droit des successions le 1er janvier 2023 ; cf. notre Newsletter du 1er juin 2021.
7Arrêt du Tribunal fédéral 2C_722/2017 du 13 décembre 2017, c. 5.4.




