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Bail à loyer : contestation du loyer initial


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A la suite d’un arrêt du Tribunal fédéral datant de 2020, qui avait ouvert la porte à une levée de la présomption d’ignorance des locataires quant au caractère obligatoire de la formule officielle de fixation du loyer, notre Haute Cour est revenue sur la question dans un arrêt 4A_302/2021 du 28 janvier 2022 portant sur le fardeau de la preuve de la remise de ladite formule au locataire. En fin de compte, il apparaît qu’un tel assouplissement n’est pas à l’ordre du jour.

Le 22 juin 2020, nous avions synthétisé l’arrêt publié aux ATF 146 III 82 rendu par le Tribunal fédéral le 28 février 2020 portant sur la contestation du loyer initial par un locataire et la prescription pour agir en restitution du trop-perçu (cliquez ici pour lire l’article). Dans le cadre de cet arrêt, l’instance suprême avait retenu que le locataire disposait toujours d’un intérêt à agir en fixation du loyer initial lors de la durée du bail, indépendamment de l’éventuelle prescription de l’action en restitution du trop-perçu, ce sous réserve d’abus de droit. Il suffisait alors que le locataire fasse valoir qu’il n’avait pas connaissance de son droit de répétition auparavant pour être admis à élever de telles prétentions contre son bailleur. Les juges avaient pourtant laissé planer un doute quant au fait de savoir si la présomption d’ignorance des locataires quant au caractère obligatoire de la formule officielle de fixation du loyer et aux conséquences attachées à l’absence de celle-ci se justifiait encore, plus de 25 années après l’introduction de ladite formule dans le canton de Vaud et au vu des différentes sources d’information disponibles en libre accès à ce sujet (site internet de l’ASLOCA notamment).

Dans son arrêt 4A_302/2021 rendu le 28 janvier 2022 et destiné à la publication aux ATF, le Tribunal fédéral a eu l’occasion de se pencher une nouvelle fois sur la question. L’affaire portait sur un contrat de bail conclu en 2011. Après avoir introduit courant 2014 une requête en conciliation tendant à l’élimination de plusieurs défauts dans leur appartement et à l’obtention d’une réduction de loyer en raison de ces défauts, ainsi qu’à une baisse de loyer fondée sur l’évolution du taux d’intérêt hypothécaire, les locataires, représentés par un avocat, ont conclu une transaction judiciaire avec la bailleresse portant sur une diminution de loyer à compter du 1er septembre 2014.

Par avis comminatoire du 15 octobre 2015, la bailleresse a mis en demeure les locataires de s’acquitter de loyers restés impayés. Assistés par un nouvel avocat, les locataires ont contesté les faits par courrier du 22 octobre 2015. Le 26 novembre 2015, les locataires ont ouvert action en constatation de la nullité du loyer initial et de son caractère abusif et en fixation d’un nouveau loyer, en arguant que la bailleresse ne leur avait jamais notifié de formule officielle de fixation du loyer, ce que cette dernière a contesté. Après qu’un jugement du Tribunal des baux a été rendu en faveur des locataires, la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal vaudois a confirmé ce jugement. La bailleresse a alors recouru au Tribunal fédéral.

Notre Haute Cour a confirmé la décision de la cour cantonale, qui retenait que la bailleresse n’avait pas prouvé la remise de la formule officielle aux locataires. En effet, la bailleresse n’avait pas pu prouver avoir adressé ladite formule aux locataires par pli recommandé, ni de l’avoir fait contresigner par ceux-ci. De plus, le contrat de bail ne contenait pas de clause stipulant que les locataires confirmaient avoir reçu la formule officielle, ce qui aurait emporté présomption de la remise effective par la bailleresse. Finalement, le Tribunal fédéral a retenu que l’inaction de la première avocate consultée par les locataires ne suffisait pas à démontrer que la formule officielle aurait figuré dans le dossier des locataires.

Au vu de ces éléments, le Tribunal fédéral a examiné l’éventuelle prescription du droit des locataires à agir en contestation du loyer initial et a distingué selon que le bail durait encore ou qu’il avait pris fin pour évaluer l’intérêt des locataires à agir à cet effet. Dans ce contexte, les juges fédéraux ont considéré que, pendant la durée du bail, les locataires peuvent en principe toujours se prévaloir du vice de forme affectant la notification du loyer initial, ne serait-ce que pour obtenir la fixation des loyers futurs, et ce indépendamment de l’éventuelle prescription de l’action en restitution des parts de loyer versées indûment. Après la fin du bail en revanche, seules les règles de l’art. 67 CO – qui prévoit un délai de trois ans à compter du jour où la partie lésée a eu connaissance de son droit de répétition et, dans tous les cas, délai de dix ans à compter de la naissance de ce droit – peuvent constituer une limite à l’intérêt des locataires à agir en justice. Dans les deux cas, ces prérogatives sont néanmoins mises en échec par un éventuel abus de droit du locataire.

Finalement, notre Haute Cour a étudié dans cet arrêt la question de la prescription du droit des locataires à exiger le remboursement du trop-perçu, lequel doit aussi être examiné sous l’angle de l’art. 67 CO. A cet égard, elle a rappelé que pour un locataire n’ayant pas reçu la formule officielle, la connaissance effective est déterminante et n’intervient que lorsque le locataire sait ou doit savoir que l’absence de cette formule, respectivement de l’indication du loyer payé par le précédent locataire ou de la motivation de la hausse, entraîne la nullité du loyer initial, que le loyer qu’il a versé était trop élevé et qu’il était, partant, abusif. S’agissant du délai absolu de prescription de dix ans, le Tribunal fédéral a confirmé sa jurisprudence de 2020 (cf. arrêt précité) selon laquelle chaque versement indu de loyer fait partir un nouveau délai de prescription.

Après avoir cité d’anciens arrêts et divers courants doctrinaux, le Tribunal fédéral a soutenu qu’un locataire demandeur devrait en principe pouvoir bénéficier pleinement de la présomption d’ignorance de l’exigence de la formule officielle, à moins qu’il ne dispose de connaissances spécifiques en droit du bail, qu’il n’ait déjà loué un appartement pour lequel une formule officielle lui a été remise, ou qu’il n’ait déjà été impliqué dans une précédente procédure en contestation du loyer initial. Force est ainsi de constater que notre Haute Cour a fermé la porte à l’hypothèse d’un affaiblissement de ladite présomption – pourtant évoqué dans son arrêt de 2020, lequel avait été vivement critiqué par une partie de la doctrine. Les juges fédéraux ont en effet souligné que l’interrogation contenue dans cet arrêt visait uniquement l’appréciation des preuves, en ce sens que les juridictions inférieures étaient invitées à examiner plus précisément les circonstances pouvant justifier le renversement de cette présomption. Il est intéressant de relever à cet égard que les deux arrêts ont été rendus par la même composition de cinq juges mais ensuite d’un changement de présidence au sein de la Ière Cour de droit civil.

En l’espèce et sur la base des considérations exposées ci-dessus, le Tribunal fédéral a considéré que les locataires n’avaient eu effectivement connaissance de leurs droits qu’à partir du moment où leur second avocat s’était saisi de leur affaire, soit en octobre 2015. Avant cette date, il y avait lieu de retenir qu’ils n’étaient pas au fait de leurs prérogatives, dès lors que dans le cas contraire, ils n’auraient manifestement pas conclu – pour d’autres motifs – une convention d’accord portant sur une diminution de leur loyer à compter du 1er septembre 2014. En outre, les juges ont retenu que, dans la mesure où les locataires étaient néerlandophones et qu’ils avaient eu recours aux services d’un interprète dans le cadre de la procédure judiciaire de 2014, il ne leur aurait pas suffi d’effectuer une simple recherche sur Internet pour déterminer si l’utilisation par la bailleresse d’une formule officielle était exigée dans leur district. Fort de cette argumentation, le Tribunal fédéral a considéré que les locataires avaient ouvert action en temps utile. L’exception de prescription soulevée par la bailleresse a donc été balayée et le recours rejeté.

En conclusion, si cet arrêt permet de préciser encore davantage certains aspects du droit des locataires à agir en contestation du loyer initial, il illustre aussi à notre sens les difficultés rencontrées par les bailleurs pour renverser la présomption d’ignorance consacrée par la jurisprudence. En effet, à moins de disposer d’éléments probants à cette fin, il apparaîtra souvent illusoire pour un bailleur d’alléguer que le locataire aurait déjà eu connaissance de ses prérogatives et qu’il fait donc preuve de mauvaise foi en attaquant le loyer initial ou que la prescription est d’ores et déjà acquise.


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