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Dans le canton de Genève, afin de lutter contre la pénurie de logements, la vente de certains biens immobiliers, jusqu’alors offerts en location, est soumise au régime d’autorisation de l’art. 39 de la Loi genevoise sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation (LDTR).
Cet article prévoit à son al. 3 la possibilité pour un locataire en place depuis au moins trois ans d’acquérir son logement pour autant que 60% des locataires en place acceptent formellement cette acquisition. Jusqu’alors, le Département compétent avait pour pratique de délivrer automatiquement l’autorisation si les conditions précitées étaient remplies. Cela a conduit des propriétaires à conclure des contrats de bail avec des acquéreurs dans le seul but de permettre à ces derniers d’acquérir le bien en question après l’écoulement des trois années d’occupation requises par la loi.
Mais dans un arrêt 1C_357/2012 du 8 janvier 2013, le Tribunal fédéral a considéré que le Département se devait d’effectuer systématiquement une pesée des intérêts en jeu, mettant en balance l’intérêt privé du locataire à acquérir son logement et l’intérêt public à la préservation du parc locatif. Partant, le Département a modifié sa pratique et ce n’est qu’à de très rares occasions que l’autorisation d’acquérir un logement a été octroyée à son locataire en vertu de l’art. 39 al. 3 LDTR. C’est dans le cadre de ce changement de pratique que s’inscrit l’arrêt du Tribunal fédéral dont il est question ici.
En l’occurrence, une société propriétaire d’un appartement dont la vente est soumise à autorisation en vertu de l’art. 39 LDTR avait conclu avec un particulier désireux d’acquérir ledit appartement une promesse de vente et d’achat assortie d’un contrat de bail d’une durée déterminée de trois ans. Les parties avaient notamment soumis leur accord à une condition résolutoire, à savoir la non-obtention de l’autorisation de vente.
Elles avaient en outre prévu, en dérogation à l’art. 260a al. 3 du Code des obligations (CO), que le locataire ne pourrait prétendre à aucune indemnité en fin de bail pour les travaux à plus-value qu’il aurait réalisés à ses frais et avec le consentement du bailleur.
Alors que le locataire avait déjà emménagé dans l’appartement, après y avoir effectué des travaux conséquents, le bailleur l’a informé que l’autorisation de vendre ne serait certainement pas accordée en raison du récent changement de jurisprudence. Tout en continuant d’occuper les locaux malgré l’échéance du contrat de bail, le locataire a invoqué la nullité du contrat de bail et de la promesse de vente pour cause de dol (art. 28 CO) et réclamé, entre autres, des dommages et intérêts pour les travaux réalisés. La société a quant à elle conclu au paiement de dommages et intérêts pour occupation « illicite » de l’appartement pour la durée allant au-delà du terme convenu.
Le Tribunal fédéral est parvenu en premier lieu à la conclusion que les deux contrats conclus conjointement par les parties (contrat de bail et promesse de vente) constituent en l’espèce un contrat complexe (ou contrat composé). Il s’agit donc de contrats à la fois distincts et dépendants entre eux en raison de la volonté des parties, qui doivent être appréhendés comme un seul et unique accord. Il est rappelé à cet égard qu’il faut chercher le « centre de gravité des relations contractuelles » pour déterminer la règle applicable à chacune des questions litigieuses.
Fort de ce constat, le Tribunal fédéral retient que, contrairement à ce que prétend le locataire, l’erreur relative au complexe de fait envisagé par les parties constitue une erreur essentielle sur un fait futur (art. 24 al. 1 ch. 4 CO). En effet, au moment de la conclusion du contrat, les parties étaient certaines que le Département accorderait l’autorisation demandée, conformément à sa pratique antérieure.
Notre Haute Cour a ensuite estimé que puisque les parties avaient conclu le contrat de bail dans le seul but de permettre l’acquisition ultérieure du bien, le centre de gravité de la relation contractuelle résidait dans la promesse de vente. En conséquence, l’invalidation du contrat en raison de l’erreur essentielle – laquelle a été admise – avait un effet ex tunc (c’est-à-dire uniquement pour le futur et non dès l’origine). Par ailleurs, bien que les parties aient volontairement exclu l’application de l’art. 260a CO, le Tribunal fédéral a décidé d’accorder tout de même au locataire une indemnité pour la plus-value des travaux réalisés, en retenant que l’article précité devait s’appliquer car le centre de gravité de la relation globale se trouvait, pour cette question déterminée, dans une relation de fait assimilable au bail. En se basant sur le même raisonnement, il a finalement décidé d’allouer au propriétaire une indemnité pour l’occupation de l’appartement après la fin du bail, correspondant au montant du loyer convenu.
Cet arrêt est intéressant en ce qu’il confirme qu’il est possible d’invalider un ensemble de contrats ne répondant pas aux mêmes qualifications juridiques. Au moyen d’un raisonnement digne d’un équilibriste, le Tribunal fédéral est parvenu à une solution qui tienne compte équitablement des intérêts des deux parties. Il conviendra néanmoins pour les propriétaires remettant à bail un bien dans la perspective éventuelle d’une acquisition future de bien régler les modalités du droit à l’indemnisation des travaux réalisés dans l’hypothèse où une telle acquisition ne devait pas avoir lieu, au risque de devoir se laisser imposer le versement d’une importante indemnité fondée sur l’art. 260a CO.
Cet article a été rédigé par Fiona Scherrer et Cosima Trabichet-Castan.