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Lors de l’adoption de son Ordonnance sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus (O-2-COVID-19) le 17 mars 2020, le Conseil fédéral a imposé la fermeture de nombreux établissements (art. 6 al. 2). Pour les corps de métier impliquant un contact physique rapproché, l’ordre de fermeture a ainsi perduré du 17 mars au 26 avril 2020 compris. Pour les restaurants, bars et magasins, la fermeture s’est prolongée jusqu’au 10 mai 2020 compris. En conséquence, de nombreux professionnels ont été dans l’incapacité d’exercer leur activité.
Ces mesures ordonnées par les autorités posent un certain nombre de problèmes, notamment en lien avec les baux commerciaux des établissements concernés par la fermeture. Pour les entreprises concernées, il est délicat de payer le loyer alors qu’elles n’ont pas pu générer de chiffre d’affaires pendant la période de fermeture. D’un autre côté, les bailleurs ne sont pas responsables de cette situation et devraient avoir droit au loyer dû en vertu des contrats de bail. C’est ce paradoxe qui a poussé notamment les cantons romands de (A.) Genève, (B.) Vaud, (C.) Neuchâtel et (D.) Fribourg, ainsi que (E.) le canton de Bâle-Ville, à prévoir des mesures d’aide spécifiques. S’il est encore possible de déposer une demande pour les cantons de Vaud et Bâle-Ville, le délai pour le dépôt de demandes d’aides aux Etats des cantons de Genève, Neuchâtel et Fribourg est aujourd’hui échu. Concernant le canton de Genève, il était néanmoins prévu que les acteurs de l’économie mobilière se rencontrent à la fin du mois de juin 2020 pour prendre d’éventuelles autres mesures nécessaires. Les cantons du Valais et du Jura n’ont pour leur part pris aucune mesure d’aide à ce jour.
A. Mesures d’aide mises en œuvre dans le canton de Genève
L’aide aux locataires et bailleurs à Genève est fondée sur trois documents, soit (i) un protocole d’accord tripartite entre l’USPI Genève, la Chambre genevoise immobilière et l’ASLOCA Genève du 6 avril 2020, (ii.) un addendum no 1 (Vesta 1 bis) du 30 avril 2020 et (iii.) un addendum no 2 (Vesta 2) du 30 avril 2020. De plus, des mesures ont également été prises (iv.) pour les immeubles subventionnés ou contrôlés et (v.) pour les immeubles détenus par la Fondation pour les terrains industriels et, pour les Fondations immobilières de droit public.
i. Protocole d’accord tripartite entre l’USPI Genève, la CGI et l’ASLOCA du 6 avril 2020
Le protocole d’accord tripartite entre l’USPI Genève, la CGI et l’ASLOCA du 6 avril 2020 permettait au bailleur ayant consenti à une exonération totale ou partielle du loyer du mois d’avril 2020 au bénéfice des établissements publics ayant dû fermer en raison de l’art. 6 al. 2 O-2-COVID-19 de voir l’Etat prendre en charge 50% du loyer. Le bailleur avait le choix d’accepter ou non de se soumettre au protocole d’accord tripartite. Cette aide pouvait être obtenue aux conditions suivantes applicables au locataire :
- être une très petite entreprise ou un indépendant ayant dû fermer en raison de l’art. 6 al. 2 O-2-COVID-19 ;
- le loyer mensuel n’excède pas CHF 3’500.- par mois ;
- l’absence d’une fortune ou d’une réserve suffisante du locataire ;
- le locataire n’était pas en demeure de payer son loyer avant le 17 mars 2020 déjà.
Les locataires et bailleurs avaient jusqu’au 20 mai 2020 pour déposer leur demande d’exonération de loyer.
ii. Addendum no 1 (Vesta 1 bis) du 30 avril 2020 au protocole d’accord tripartite
L’addendum n 1 (Vesta 1 bis) du 30 avril 2020 au protocole d’accord tripartite permettait de prolonger également au mois de mai 2020 les termes dudit protocole.
Les locataires avaient jusqu’au 30 mai 2020 pour déposer leur demande d’aide à leur bailleur. Ces derniers avaient quant à eux un délai au 10 juin 2020 pour les transmettre à l’Etat.
iii. Addendum no 2 (Vesta 2) du 30 avril 2020 au protocole d’accord tripartite du 6 avril 2020
L’addendum no 2 (Vesta 2) au protocole d’accord du 30 avril 2020 prévoyait que l’Etat, les bailleurs et les locataires prennent chacun à leur charge un mois de loyer pour les mois d’avril, mai et juin 2020 pour autant que certaines conditions soient remplies. Son application était également à la discrétion du bailleur. Les conditions étaient les suivantes :
- être un établissement ouvert au public ayant du fermer en raison de l’art. 6 al. 2 O-2-COVID-19 et n’ayant pas pu rouvrir le 27 avril 2020 ;
- le loyer mensuel se situe entre CHF 3’500.- et CHF 7’000.- charges non comprises, respectivement CHF 10’000.- pour les établissements exclusivement dédiés à la restauration et au débit de boissons ;
- une absence d’une fortune ou d’une réserve suffisante du locataire ;
- le locataire n’était pas en demeure de payer son loyer avant le 17 mars 2020 déjà ;
- le locataire avait payé son loyer d’avril 2020 avant le 15 mai 2020 ;
- le locataire s’engageait à ne pas licencier du personnel pour des motifs liés à la crise.
Les locataires avaient jusqu’au 30 mai 2020 pour déposer leur demande d’aide à leur bailleur. Celui-ci avait quant à lui un délai au 10 juin 2020 pour les transmettre à l’Etat.
N.B. La prise en charge par l’Etat était plafonnée à hauteur d’un montant maximal de CHF 7’000.-.
iv. Immeubles subventionnés ou contrôlés
L’Etat a prévu notamment une mesure en vue d’encourager certains bailleurs commerciaux à exonérer les locataires de payer leur loyer. Cette mesure concerne les bailleurs de locaux commerciaux ayant dû totalement fermés et sis dans des immeubles subventionnés au sens de la loi genevoise sur le logement et la protection des locataires (LGL) ou dans des immeubles contrôlés au sens de la loi genevoise sur les zones de développement (LGZD). L’Etat a permis aux propriétaires de ces immeubles de reporter la perte locative sur la réserve de l’immeuble. Il faut pour ceci que :
- l’utilisation de la réserve se fasse sur une période de 3 mois au maximum et ne dépasse pas 20% de son total ;
- les locataires soient des indépendants ayant dû fermer leur local commercial ;
- les locataires n’aient pas bénéficié du protocole d’accord tripartite du 6 avril 2020 ;
- l’immeuble ait déjà cumulé une réserve positive et suffisante à assurer son entretien régulier, conformément à la LGL.
Concernant les logements subventionnés, l’Etat avait prévu pour le mois d’avril 2020 (et les mois subséquents, pour autant que les mesures liées au COVID-19 soient prolongées) une exonération totale de la surtaxe pour les indépendants, pour autant qu’ils puissent prouver avoir été durement impactés dans leur situation financière par les mesures imposées par les autorités de fermetures d’établissements publics pour raisons sanitaires.
v. Immeubles détenus par la Fondation pour les terrains industriels et les Fondations immobilières de droit public
La Fondation pour les terrains industriels (FTI) a suspendu la perception des loyers et rentes pour les entreprises en difficulté financière. Les loyers non-perçus pourront ensuite être étalés sur une période de six mois au maximum. Pour les locataires bénéficiant du protocole d’accord tripartite et de son addendum n° 1 (Vesta 1 bis), la FTI prend intégralement en charge les loyers exonérés.
Les Fondations immobilières de droit public ont également décidé de la suspension de la perception des loyers dus par les locataires, indépendamment de leur fermeture ou non, dès le mois d’avril 2020 et jusqu’à la reprise de leur activité. Quant aux surfaces commerciales ayant dû complètement fermer, il a été décidé d’une exonération de loyer aussi pour le mois d’avril 2020.
B. Mesures d’aide mises en œuvre dans le canton de Vaud
L’arrêté du 17 avril 2020 du conseil d’Etat du canton de Vaud permet au bailleur commercial qui renonce à percevoir au moins 50% du loyer dû de recevoir de la part de l’Etat la moitié du loyer manquant, soit un maximum de 25%. Cette aide est prévue pour les mois de mai et juin 2020 et est limitée à un montant de CHF 2’500.-. Les conditions pour bénéficier de cette aide sont les suivantes:
- être un établissement ouvert au public ayant dû fermer partiellement ou totalement avant le 16 avril 2020 en raison de l’art. 6 al. 2 O-2-COVID-19 ;
- le loyer mensuel est inférieur à CHF 3’500.- charges non comprises, respectivement CHF 5’000.- pour les titulaires d’une licence de café-restaurant au sens de la Loi vaudoise du 26 mars 2002 sur les auberges et débits de boissons ;
- l’établissement a régulièrement payé les cotisations sociales à sa charge et celles qu’il doit verser pour le compte de ses employés ;
- l’établissement est à jour fiscalement, notamment quant au respect des délais de dépôt de ses déclarations fiscales, du paiement de ses impôts et des retenues de l’impôt à la source de ses employés.
A ce jour, l’Etat n’a pas encore fixé de date butoir pour déposer une demande d’aide.
C. Mesures d’aide mises en œuvre dans le canton de Neuchâtel
Le Département de l’économie et de l’action sociale du canton de Neuchâtel a conclu le 6 mai 2020 avec l’ASLOCA Neuchâtel, la Chambre immobilière Neuchâteloise, l’USPI Neuchâtel-Jura un protocole d’accord concernant les loyers commerciaux. Ce protocole d’accord prévoit que pour la période allant du 1er mars au 30 juin 2020, le propriétaire renonce à 50% du loyer mensuel pour chaque jour où l’établissement n’a pas pu exploiter son local commercial. S’agissant des 50% restants, ceux-ci sont pris en charge par moitié par le locataire, l’autre moitié étant couverte par l’Etat. L’application de l’accord se fait également au bon vouloir du propriétaire.
Peuvent bénéficier de cette aide :
- pour les mois de mars et avril 2020, les établissements ayant pu rouvrir le 27 avril 2020 ;
- pour les mois de mars à mai 2020, les établissements ayant pu rouvrir le 11 mai 2020 ;
- pour les mois de mars à juin 2020, les établissements n’ayant pu rouvrir qu’à compter du 8 juin 2020 ou d’une date ultérieure.
En outre, les conditions suivantes doivent être remplies :
- être un établissement public ayant été empêché d’exercer son activité pour une certaine période (voir ci-dessus) ;
- le loyer mensuel est inférieur à CHF 3’000.- pour les locataires ayant pu reprendre leur activité en avril 2020, et inférieur à CHF 5’000.- pour les locataires ayant pu reprendre leur activité en mai 2020 ou ultérieurement ;
- l’établissement public ne fait pas l’objet de poursuites et n’a pas d’arriérés importants envers les collectivités publiques.
Les locataires et bailleurs avaient jusqu’au 6 juin 2020 pour déposer leur demande d’aide.
N.B. Cette aide est également disponible pour les loyers supérieurs à CHF 3’000.-, respectivement CHF 5’000.-. Toutefois l’aide de l’Etat est plafonnée à ces montants. Par exemple, un établissement ayant pu rouvrir le 27 avril 2020 et dont le loyer mensuel s’élève à CHF 3’500.- verra l’aide de l’Etat calculée sur la base d’un loyer mensuel de CHF 3’000.-.
D. Mesures d’aide mises en œuvre dans le canton de Fribourg
L’Ordonnance sur les mesures économiques destinées à lutter contre les effets du coronavirus par un soutien aux loyers ou fermages de locaux commerciaux (OMEB COVID-19) du 21 avril 2020 du Conseil d’Etat du canton de Fribourg prévoit également une clé de répartition du loyer mensuel entre l’Etat, le locataire et le bailleur fixée à un tiers chacun pour les mois de mai à juillet 2020. L’accord du bailleur est nécessaire.
Pour pouvoir bénéficier de cette aide, Il faut notamment :
- être une entreprise ou un indépendant au sens de l’article 12 de la loi fédérale du 6 octobre 2000 sur la partie générale des assurances sociales, dont l’activité économique a été touchée de manière significative par les effets du COVID-19; ou
- être un établissement public au bénéfice d’une patente du type A, B, C, D, F ou H au sens de l’article 14 de la loi fribourgeoise du 24 septembre 1991 sur les établissements publics (LEPu) ;
- l’établissement public n’est pas en demeure de régler son loyer mensuel ;
- le contrat de bail n’a pas été résilié ou ne le sera pas prochainement ;
- l’établissement public doit toujours avoir payé les charges sociales lui incombant et celles de ses employés ;
- l’établissement public doit être à jour dans sa situation fiscale.
L’aide de l’Etat est limitée à CHF 2’500.-, respectivement CHF 3’500.- pour les établissements publics bénéficiant d’une patente mentionnée ci-dessus.
Il faut également soulever que lorsque l’activité commerciale est déployée dans une surface soumise à un contrat de bail d’habitation, un montant forfaitaire de CHF 500.- peut être obtenu de l’Etat, pour autant que les conditions susmentionnées soient également remplies.
Enfin, le locataire devait obtenir l’accord du bailleur, lequel avait jusqu’au 30 juin 2020 pour transférer la demande d’aide à l’Etat.
E. Mesures d’aide mises en œuvre dans le demi-canton de Bâle Ville
Le 22 avril 2020, le Grand conseil du canton de Bâle-Ville a accepté une motion déposée l’avant-veille par Beat Leuthardt et Andreas Zappalà concernant les aides au loyer pour les petits commerçants bâlois. Le canton de Bâle-Ville a décidé de soutenir les locataires en prévoyant une clé de répartition d’un tiers chacun entre le locataire, le bailleur et l’Etat pour loyers des mois d’avril, mai et juin 2020. L’accord du bailleur est une fois encore nécessaire. Les conditions requises pour bénéficier de l’aide de l’Etat sont les suivantes :
- le bailleur et le locataire ne sont pas liés (par ex. membres de même famille) ou dépendants du même ayant droit économique ;
- le contrat de bail porte sur un local commercial ;
- le locataire doit payer des impôts dans le canton de Bâle-Ville ;
- le locataire doit être touché directement (par ex. fermeture de magasin). S’il n’est touché qu’indirectement (par ex. un bureau d’architecte qui a perdu des mandats), il doit être en mesure de prouver une perte de son chiffre d’affaire d’au moins un tiers par rapport à la période d’avril à juin 2019 ;
- le locataire n’a pas licencié d’employé durant la crise sanitaire, respectivement n’a pas imposé des conditions de travail moins favorables à ses salariés;
- le contrat de bail n’est pas résilié ;
- le locataire doit avoir payé son loyer au moins jusqu’au 13 mars 2020 et ne pas être en procédure de faillite.
L’aide de l’Etat est limitée à un loyer mensuel de CHF 6’700.-, respectivement CHF 20’000.- sur les trois mois pertinents.
Enfin, le locataire doit obtenir l’accord du bailleur, lequel dispose d’un délai jusqu’au 30 septembre 2020 pour transférer la demande d’aide à l’Etat.
Conclusion et perspectives
A l’exception du Valais et du Jura, tous les autres cantons romands ainsi que le canton de Bâle-Ville ont pris des mesures pour soulager les locataires de baux commerciaux. Il faut toutefois relever que les dispositifs mis en place dépendent systématiquement du bon vouloir du bailleur. On constate pourtant qu’un grand nombre de bailleurs a accepté de travailler de concert avec les locataires concernés alors qu’ils ont souvent été eux-mêmes touchés de plein fouet par la crise du COVID-19. Par exemple à Genève, dans les cadres des divers accords prévus, les locataires de baux commerciaux ont pu bénéficier d’allégements pour un montant dépassant de CHF 26’500’000.-, le taux d’acceptation de la part des propriétaires privés s’étant élevé à près de 95 %.
Enfin, il est à noter que le Conseil national et le Conseil des Etats ont tous deux adopté courant juin 2020 des motions identiques visant à aider les locataires de baux commerciaux dont le loyer mensuel s’élève au maximum à CHF 20’000 et qui n’ont pas pu exploiter pleinement leurs locaux commerciaux en raison des restrictions prévues par l’art. 6 al. 2 O-2-COVID-19. Ces derniers ne paieraient ainsi que 40% de leur loyer mensuel pour la période concernée. Cependant, selon le projet de loi mis en consultation par le Conseil fédéral le 1er juillet 2020 (projet de loi COVID-19 sur les loyers commerciaux), la loi ne s’applique pas si les parties ont conclu un accord exprès sur le montant du loyer ou fermage pendant la durée de la fermeture ou restriction d’activité en vertu de l’O-2-COVID-19. Il est expressément prévu que les conventions passées en application de mécanismes incitatifs mis en place par les cantons (avec un soutien étatique au paiement du loyer) constituent de tels accords excluant l’application de la loi. Par conséquent, les locataires et bailleurs qui ont fait usage des possibilités offertes au niveau cantonal ne pourront pas bénéficier des mesures prévues par la future loi fédérale.
Cet article a été rédigé par Elias Smahi et Hannah Cipriano-Favre.