Les relations personnelles avec les clients l’emportent !


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Le Tribunal fédéral s’est récemment prononcé, dans le cadre d’une affaire genevoise, sur la question de l’éventuelle violation du devoir de fidélité et de la prohibition de concurrence par un gestionnaire de fortune ayant invité ses clients à le suivre dans une nouvelle banque (arrêt 4A_116/2018 du 28 mars 2019).

La banque, s’estimant lésée, avait réclamé à son ex-employé une indemnité de CHF 1’000’000, arguant que ce montant correspondait au revenu annuel perdu du fait du départ des quinze clients du gérant vers la nouvelle banque. Déboutée de sa demande en première et en seconde instance, la banque a porté l’affaire devant le Tribunal fédéral.

Dans ce contexte, elle a fait valoir que l’employé avait violé son devoir de fidélité en soustrayant des supports d’informations qui lui appartenaient et contenaient des profils de clients ou en confectionnant sa propre liste de clients. La banque a ainsi reproché au gérant d’avoir servi ses propres intérêts au détriment de ceux de son employeur. Elle a également soutenu qu’il avait violé tant la clause de non-concurrence contenue dans ses contrats de travail successifs que la Loi sur la concurrence déloyale (LCD) et le secret bancaire.

Après avoir rappelé l’obligation de diligence et de fidélité due par l’employé à son employeur (art. 321a CO), le Tribunal fédéral a souligné que, pour être qualifiées de secrets d’affaires, les connaissances acquises par le travailleur doivent toucher à des questions techniques, organisationnelles ou financières. Or, la connaissance, par le gérant, de la clientèle ne tombe pas dans l’une de ces catégories. Ainsi et selon les juges fédéraux: « elle ne saurait en aucun cas constituer l’un de ces secrets particuliers que le travailleur devrait garder même après la fin du contrat de travail » (consid. 3.1.1).

Plus important encore, le Tribunal fédéral s’est penché sur la clause de non-concurrence, qui selon l’art. 340 al. 2 CO n’est valable que si les rapports de travail permettent au travailleur d’avoir connaissance de la clientèle ou des secrets de fabrication ou d’affaires de l’employeur et si l’utilisation de ces renseignements est de nature à causer un préjudice à ce dernier. Se référant à une jurisprudence de 2012 en la matière (publiée aux ATF 138 III 67), notre Haute Cour a rappelé à cet égard que « lorsque le travailleur fournit au client une prestation qui se caractérise surtout par ses capacités personnelles, de sorte que ce dernier attache plus d’importance auxdites capacités qu’à l’identité de l’employeur, une clause de prohibition de concurrence fondée sur la connaissance de la clientèle n’est pas valable ; en effet, dans une telle situation, si le client se détourne de l’employeur pour suivre l’employé, le préjudice en résultant pour l’employeur résulte de l’attrait des capacités personnelles de l’employé et non pas simplement du fait que celui-ci a eu connaissance du nom des clients » (consid. 4.1). Ainsi, lorsque l’employé fournit au client une prestation qui se caractérise par une forte composante personnelle, la clause de prohibition de concurrence peut être écartée. Cela dépendra des circonstances, dont la constatation relève des faits et lie le Tribunal fédéral.

En l’occurrence, dans le cadre de l’instruction de la cause, les clients du gérant avaient mis en avant la confiance absolue que leur inspirait leur gérant et leur désir qu’il continue à s’occuper de la gestion de leur patrimoine. Les clients ont ajouté avoir fait le choix de suivre leur gérant dans la nouvelle banque dépositaire en raison de l’importance qu’ils accordaient à la personne de celui-ci, la banque ne jouant qu’un rôle secondaire dans cette relation.

Par conséquent, en raison de l’importance prépondérante des capacités personnelles du gérant, le Tribunal fédéral a considéré que la Cour cantonale pouvait retenir sans arbitraire que la clause de non-concurrence n’était pas valable en l’espèce.

Cet arrêt démontre que le Tribunal fédéral accorde désormais une importance toute particulière à la composante personnelle de la relation nouée avec le client lorsqu’il examine la validité d’une clause de non-concurrence. En retenant que la prohibition de concurrence ne peut s’appliquer lorsqu’une telle relation prend le pas – du point de vue du client – sur l’identité de l’employeur, il confirme le tournant déjà amorcé en 2012 dans l’ATF précité.

Ainsi, quand bien même un employé aurait accès aux secrets de son employeur et à la liste de ses clients, comme le prévoit l’art. 340 al. 2 CO, le fait qu’il ait pu nouer des liens personnels avec la clientèle paraît exclure systématiquement la validité d’une clause de prohibition de concurrence.

Cette jurisprudence pourrait s’avérer en outre d’application extrêmement large. En effet, les principes énoncées in casu par le Tribunal fédéral ne sont pas limitées au domaine de la gestion de fortune, mais pourraient à notre sens être transposées à de multiples branches lorsque l’employé est amené à tisser des liens personnels avec la clientèle en vue de fournir une prestation de l’entreprise pour laquelle il travaille (par exemple un courtier salarié dans le domaine immobilier, un délégué commercial/responsable de vente de produits ou alors un professeur de tennis employé par une association). Qui plus est, la qualification des liens tissées par le travailleur relève de la constatation des faits, au sujet de laquelle le pouvoir de cognition du Tribunal fédéral est limité à l’arbitraire.

Au vu de la démultiplication des métiers de service – qui tendent en outre à devenir de plus en plus personnalisés – l’utilité des clauses de non-concurrence stipulées dans les contrats de travail apparaît donc de plus en plus limitée, dans la mesure où toutes les professions dans lesquelles le contact avec les clients est prédominant sont susceptibles de tomber sous le coup de cette jurisprudence. Pour tenter de se prémunir contre ceci, les employeurs ont pour seule solution de créer un “branding” suffisamment solide, respectivement de mettre en œuvre des politiques de gestion de la clientèle très spécifiques, afin que les clients se sentent davantage liés à l’entreprise qu’à la personne qui les conseille à l’interne.


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