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Dans cette contribution, nous effectuons un tour d’horizon des principes applicables en matière de litiges de droit du travail en suisse, en évoquant tout d’abord les règles de procédure applicable puis en décrivant les principaux types de conflits qui sont portés devant les tribunaux. Enfin, nous passons en revue les principales décisions rendues par le Tribunal fédéral sur plusieurs thématiques choisies dans le courant de l’année 2022.[1]
1. Introduction
La Suisse dispose d’un dispositif juridique efficace en matière de droit du travail, qui vise à la fois à garantir le respect des droits des salariés et à préserver la compétitivité des entreprises indigènes. Pour le secteur privé, le cadre légal du droit du travail en Suisse est régi par le Code suisse des obligations (CO), qui définit les principes juridiques de base des relations de travail, y compris les obligations des employeurs et des travailleurs, ainsi que les droits et les devoirs des deux parties. Pour les travailleurs du secteur public, les relations de travail sont régies par des règles fédérales, cantonales et parfois même communales. Des régimes spéciaux peuvent également s’appliquer aux employés des missions diplomatiques, sous certaines conditions.
L’un des principes fondamentaux du droit suisse du travail est la liberté contractuelle, ce qui signifie que les parties à un contrat de travail disposent d’une marge de manœuvre considérable pour négocier les termes de leur accord. Le CO fixe les principes généraux du contrat de travail, en énonçant des normes minimales telles que les conditions de résiliation, les vacances payées, les congés légaux et la protection contre les licenciements abusifs, qui s’appliquent si les parties n’ont pas stipulé de conditions spécifiques pour leurs relations contractuelles. Certaines dispositions ne peuvent être modifiées qu’à l’avantage de la partie la plus faible, à savoir l’employé.
Il n’existe pas de salaire minimum au niveau fédéral, mais plusieurs cantons (Genève, Tessin, Neuchâtel, Jura et Bâle-Ville) ont récemment introduit un salaire minimum. Les salaires minimaux peuvent également résulter de conventions collectives négociées entre les associations patronales et les syndicats pour certaines branches de l’économie. Ces conventions vont souvent au-delà des normes minimales fixées par la loi et couvrent divers aspects des relations de travail. Le cas échéant, les normes minimales fixées par ces accords ont force de loi et doivent être respectées.
D’autres lois et règlements s’appliquent, comme la loi fédérale sur le travail (LTr), qui comprend des dispositions obligatoires sur les horaires de travail et la sécurité et la santé au travail, la loi fédérale sur le service de l’emploi et la location de services (LSE) et la loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes (LEg).
La teneur générale du droit suisse du travail est celle d’un équilibre entre les intérêts des employeurs et des employés. La loi prévoit non seulement une série de protections pour les travailleurs, mais elle reconnaît également l’importance de permettre aux employeurs d’exercer leurs activités dans un environnement concurrentiel. Par conséquent, le droit suisse de l’emploi et du travail est généralement considéré comme juste et équilibré.
En termes de résolution des conflits, la Suisse dispose d’un système bien établi de tribunaux spécialisés (parfois plus communément appelés tribunaux des prud’hommes), qui sont chargés d’entendre et de juger les conflits entre employeurs et employés. Ces tribunaux sont généralement organisés comme des juridictions paritaires, qui intègrent à la fois des représentants des employeurs et des employés. Les parties sont encouragées à résoudre un conflit à l’amiable et la loi prévoit plusieurs mécanismes pour faciliter cette résolution. En cas de litige, les parties peuvent également recourir à la médiation ou, dans certains cas, à des organes d’arbitrage spécialisés, qui peuvent fournir une solution efficace et relativement rapide.
2. Procédure applicable
Comme dans tout litige civil en Suisse, à quelques exceptions près, en cas de litige entre un travailleur et un employeur soumis au droit privé, le demandeur doit d’abord s’adresser à l’autorité de conciliation. Selon le Code de procédure civile suisse (CPC), les cantons sont responsables de l’organisation des tribunaux et des autorités de conciliation, ce qui explique que l’organisation de ces dernières varie fortement d’un canton à l’autre.
Dans le cas de conflits de travail privés, le CPC prévoit deux instances alternatives, à savoir le tribunal du domicile ou du siège social du défendeur, ou le tribunal du lieu où le travailleur exerce habituellement son activité professionnelle. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, la plupart des litiges relevant du droit du travail ne peuvent être soumis à l’arbitrage. Par conséquent, même si une convention d’arbitrage est conclue, les tribunaux ordinaires ne peuvent en général pas se déclarer incompétents si un litige leur est soumis.
L’autorité de conciliation, qui est en règle générale organisée de façon paritaire, entend les parties et tente de favoriser un règlement à l’amiable. Si aucune solution au litige n’est trouvée à cette occasion – sachant que l’autorité de conciliation peut également suspendre la cause pour donner aux parties le temps de négocier davantage – une autorisation de procéder est délivrée au demandeur, lui permettant de saisir le tribunal compétent sur le fond dans un délai de trois mois.
Les litiges dont la valeur litigieuse ne dépasse pas 30 000 francs suisses sont soumis à une procédure simplifiée, dont l’objectif est de parvenir à une instruction et à une décision rapides. Dans ce cas, les exigences formelles de la demande au tribunal sont réduites. En particulier, elle ne doit contenir aucune motivation juridique, ce qui facilite l’accès pour les personnes physiques qui ne sont pas assistées d’un avocat. La procédure simplifiée s’applique également, quelle que soit la valeur du litige, aux demandes fondées sur la loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes (Leg). Dans les autres cas, la procédure ordinaire s’applique.
Le défendeur a la possibilité d’introduire une demande reconventionnelle contre le demandeur dans le cadre de la procédure, à condition que les prétentions soient soumises à la même procédure.
Les tribunaux suisses prélèvent généralement des frais de justice pour de telles procédures. Toutefois, le CPC prévoit une exemption de frais pour les litiges portant sur un contrat de travail dont la valeur litigieuse n’excède pas 30 000 francs suisses qui sont fondés sur la loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes. Si ces exceptions ne sont pas remplies, les frais sont généralement facturés proportionnellement à la valeur litigieuse, selon un tarif fixé au niveau cantonal. Des dépens peuvent également être alloués à la partie qui obtient gain de cause pour compenser ses frais de justice (honoraires d’avocat principalement), même s’ils ne couvrent souvent pas l’intégralité de ces frais. De nombreux cantons prévoient des exemptions de frais plus étendues, ce qui peut éventuellement déterminer le choix du for de l’action.
La langue de la procédure est déterminée par le canton, à savoir l’allemand, le français, l’italien ou le romanche. Ceci implique, par exemple, que si les documents de preuve sont rédigés en anglais, ils devront généralement être traduits pour être utilisés dans la procédure, à moins que le tribunal renonce à en demander la traduction.
Dans la pratique, nous constatons que malgré l’application de la procédure simplifiée, les procédures devant les juridictions de droit du travail durent souvent au moins un an à partir du dépôt de la requête de conciliation, et souvent beaucoup plus longtemps jusqu’à ce qu’une décision soit rendue en première instance. Cela est principalement dû au fait que les litiges relevant du droit du travail impliquent souvent l’audition de nombreux témoins (par exemple des supérieurs et des collègues), ce qui ralentit l’instruction de l’affaire. En effet, compte tenu du grand nombre de procédures inscrites au rôle du tribunal, il est souvent difficile de reconvoquer rapidement une audience lorsque des témoins ne comparaissent.
Certaines dispositions spécifiques s’appliquent si le litige porte sur des réclamations fondées sur la loi sur la concurrence déloyale (LCD). De même, les litiges entre un fonctionnaire et une autorité publique (dont les relations juridiques sont régies par le droit public) sont soumis à des règles de procédure distinctes fixées au niveau communal, cantonal ou fédéral. Les conventions collectives peuvent également contenir des dispositions particulières en matière de résolution des conflits, par exemple des clauses de négociation et de médiation ou le renvoi des conflits à des instances autres que les tribunaux ordinaires.
Les décisions rendues par les tribunaux de première instance peuvent être contestées en deuxième instance devant une cour d’appel située dans le même canton, laquelle est habilitée à contrôler à la fois les faits et le droit. Les décisions de la cour d’appel peuvent faire l’objet d’un recours au Tribunal fédéral, à certaines conditions. Ce dernier dispose toutefois d’un pouvoir de cognition limité au droit ou à la constatation arbitraire des faits de la cause.
3. Types de conflits en droit du travail
En Suisse, on distingue les types de conflits en droit du travail selon l’identité du demandeur. Les actions introduites par l’employé portent généralement sur les points suivants :
- licenciement : réclamations concernant un licenciement abusif ou la violation d’un accord de résiliation consensuel, litiges concernant la délivrance de documents par l’employeur à la fin de la relation de travail (tels que les certificats de travail), par exemple ;
- le salaire et les gratifications (y compris le paiement des vacances et des heures supplémentaires) ; et
- la protection de la personnalité (discrimination, mobbing et autres types de harcèlement sur le lieu de travail) et la protection des données.
En revanche, les actions introduites du côté de l’employeur concernent principalement la violation d’obligations contractuelles par l’employé (par exemple, les devoirs de fidélité et de diligence) ou la violation d’une clause de non-concurrence ou de confidentialité.
Le CO contient un chapitre sur la protection contre les congés, qui énumère une liste de circonstances dans lesquelles un congé doit être considéré comme abusif. Cette liste n’est toutefois pas exhaustive et ces dispositions ont ainsi donné lieu à une abondante jurisprudence. À l’exception des cas de discrimination fondée sur le genre, dans le secteur privé, la loi ne prévoit pas de droit à la réintégration, ce qui signifie que même si le congé est jugé abusif, le demandeur n’aura droit qu’à une compensation financière. Selon la loi, cette compensation est plafonnée à six mois de salaire. Il existe également une abondante jurisprudence relative à la détermination du montant de ces indemnités.
En cas de litige, les tribunaux examinent si les stipulations contractuelles entre les parties ou, en l’absence d’accords spécifiques, si les dispositions légales prévoyant le cadre et minimal ont été respectées. La charge de la preuve incombant au demandeur, ce dernier a intérêt à fournir le plus de preuves possibles par écrit. Toutefois, si l’employeur est le défendeur, en fonction de l’objet du litige, il a le devoir de collaborer et de fournir des informations que l’employé n’aurait pas en sa possession (par exemple, le relevé des heures travaillées ou le chiffre d’affaires annuel devant permettre le calcul d’un bonus éventuel).
En règle générale, toutes les créances découlant des rapports de travail deviennent caduques lorsque ceux-ci prennent fin. Il convient également de noter que le droit matériel suisse prévoit certains délais de prescription pour les demandeurs, sous peine de déchéance. Une demande d’indemnisation pour congé abusif doit être introduite dans les 180 jours suivant la fin de la relation de travail ; les autres demandes se prescrivent par cinq ou dix ans, selon la nature de la présentation. Le CO prévoit en outre que les travailleurs ne peuvent renoncer à la protection accordée par des dispositions impératives de la loi ou découlant d’une convention collective de travail pendant la durée des rapports de travail et pendant le mois qui suit la fin du contrat.
Sans surprise, dans la pratique, la plupart des litiges se manifestent au moment de la résiliation du contrat, ce qui explique l’abondance de la jurisprudence en la matière. Dans certains cas, seule une partie de la créance reste litigieuse au stade de la procédure devant les tribunaux. La nature de la relation contractuelle doit toujours être analysée en premier lieu, car les protections légales ne s’appliquent qu’aux parties à un contrat de travail et non si leur relation relève d’un autre type de contrat.
4. Jurisprudence de l’année écoulée
4.1 Principes généraux et aspects procéduraux
Action partielle : arrêt du Tribunal fédéral du 23 juin 2022 (4A_307/2021)
Un salarié a été employé à la fois comme dentiste et comme directeur de centre par une clinique dentaire par le biais de deux contrats de travail différents. Les deux contrats de travail ont été résiliés par l’employeur. L’employé a intenté quatre actions partielles (initialement deux en parallèle en raison d’une prétendue résiliation abusive, puis deux concernant le salaire et d’autres prétentions) dans le cadre de procédures distinctes. Les montants réclamés par l’employé s’élevaient à 29 999 francs suisses pour trois actions et à 8 587 francs suisses pour une action.
Le tribunal cantonal a décidé de traiter les quatre demandes en une seule procédure, plutôt qu’en quatre procédures distinctes. En conséquence, le demandeur n’a plus bénéficié de la procédure simplifiée et gratuite, qui s’applique aux créances jusqu’à une valeur litigieuse de 30 000 francs suisses. L’employé a fait appel de la décision et a demandé la gratuité de la procédure.
Le Tribunal fédéral a estimé que la limite à l’introduction d’actions partielles pour bénéficier des règles de la procédure simplifiée et des avantages qui en découlent (tels que l’exonération des frais de justice) est l’interdiction de l’abus de droit et l’exigence de bonne foi.
En l’espèce, le Tribunal fédéral a jugé que l’employé ne s’était pas contenté de limiter sa demande pour respecter la limite supérieure de 30 000 francs suisses, mais qu’il avait introduit quatre actions distinctes dans le but de contourner ces limites et de bénéficier d’une procédure simplifiée et gratuite pour une demande dépassant 100 000 francs suisses au total. Ce comportement portait atteinte à l’objectif de la limitation de la valeur litigieuse, qui est de permettre aux parties d’obtenir une décision judiciaire rapide lorsque des montants relativement faibles sont contestés, notamment en matière de droit privé social.
Le comportement procédural du requérant a donc été considéré comme abusif et son recours a été rejeté.
Compétence : arrêt du Tribunal fédéral du 22 mars 2022 (4A_548/2021)
Une société ayant son siège social à Berne a engagé un employé suisse domicilié à Genève en tant que responsable du marché international. Le contrat de travail stipulait que le lieu de travail était Berne, mais que l’employé pouvait être appelé à exercer ses activités ailleurs en Suisse et à l’étranger. Toutefois, les parties ont conclu un accord de travail à domicile, selon lequel l’employé était autorisé à travailler depuis son domicile à Genève, tandis que son bureau au siège de l’entreprise à Berne restait disponible. Il était précisé que le lieu de travail restait déterminé par le contrat de travail individuel.
Le litige portait sur la question de savoir si le lieu de travail habituel de l’employé se situait à Berne ou à Genève pour déterminer quel était le tribunal compétent pour connaître du litige.
Le Tribunal fédéral a estimé que les aspects quantitatifs et qualitatifs devaient être pris en considération. Si le travailleur est employé simultanément dans plusieurs lieux, celui qui est manifestement central pour l’activité exercée doit prévaloir. Lorsqu’un travailleur est affecté à plusieurs territoires sans lien géographique, ce lien peut être établi au lieu où le travailleur planifie et organise ses déplacements et effectue des tâches administratives. Il peut s’agir de la résidence personnelle du salarié.
Dans cette affaire, le Tribunal fédéral a finalement retenu que le lieu de travail effectif se trouvait à Genève, malgré les accords contractuels contraires.
4.2 Qualification du contrat
Activité dépendante, indépendante ou location de services : arrêts du Tribunal fédéral du 30 mai 2022 (2C_34/2021 et 2C_575/2020)
En octobre 2019, les tribunaux genevois ont constaté qu’Uber avait conclu des contrats de travail avec ses chauffeurs et se qualifiait d’entreprise de service dans le domaine des transports, déclenchant certaines obligations envers ses chauffeurs en termes de conditions de travail et de protection sociale.
Sur recours d’Uber, le Tribunal fédéral a relevé de nombreux éléments permettant de retenir l’existence d’un lien de subordination entre les chauffeurs et Uber, notamment:
- les chauffeurs fournissaient un service de travail de longue durée rémunéré par Uber ;
- le prix des courses (conditions tarifaires et facturation aux clients) était fixé unilatéralement par Uber ;
- Uber donnait des instructions sur l’exécution de son service (par exemple, sur le maniement du véhicule, l’itinéraire à suivre et le comportement à adopter par les chauffeurs) ; comme les instructions étaient spécifiques, elles mettaient en évidence un lien de subordination ;
- Uber surveillait l’activité des chauffeurs grâce à la géolocalisation, et un système d’évaluation permettait à l’entreprise de désactiver le compte du chauffeur s’il refusait des courses de manière répétée ou s’il faisait l’objet d’une plainte ; le compte pouvait en outre être désactivé à la seule discrétion d’Uber, sans que les chauffeurs puissent savoir qui avait donné une évaluation ou déposé une plainte ; et
- bien que les chauffeurs avaient la possibilité de se déconnecter librement de l’application Uber, ils étaient encouragés par des messages textuels à se connecter à l’application et pouvaient être sanctionnés suite à l’annulation de trajets ; le modèle économique pour les chauffeurs était ainsi similaire à celui du travail sur appel.
Selon le Tribunal fédéral, une relation de travail n’est pas exclue par le fait que les chauffeurs ne sont pas personnellement sélectionnés par l’entreprise, qu’ils n’ont pas d’horaire ou de lieu de travail fixe ou qu’ils sont libres d’exercer une activité annexe. L’existence d’une relation de travail entre Uber et les chauffeurs a donc été confirmée par le Tribunal fédéral.
Dans une autre affaire concernant le service de livraison de repas “Uber Eats”, le Tribunal fédéral a conclu que les chauffeurs d’Uber Eats devaient être considérés comme des employés et non comme des indépendants. D’autre part, les juges de Mon-Repos ont refusé l’hypothèse d’une location de services, en l’absence de transfert du droit de donner des instructions de l’entité Uber employeuse à la tierce partie impliquée, à savoir l’exploitant du restaurant. Par conséquent, les règles spécifiques en matière de location de services ne sont pas applicables.
4.3 Congé
Licenciement immédiat et perte du permis de travail : arrêt du Tribunal fédéral du 8 février 2022 (4A_447/2021)
Une association basée en Suisse a engagé une travailleuse de nationalité italienne qui avait son domicile à Lugano, en Suisse. Le contrat de travail a été conclu pour une durée indéterminée.
L’employée a déménagé de Suisse en Italie et a fait part de ce déménagement à son directeur, l’invitant à soutenir une demande d’obtention d’un permis de travail transfrontalier. Au lieu d’apporter son soutien, le directeur a résilié le contrat de l’employée avec effet immédiat, au motif qu’elle n’était plus autorisée à travailler en Suisse.
Le Tribunal fédéral a estimé qu’un contrat de travail est en principe valable même si l’employé n’est pas autorisé à travailler en Suisse. Une exception à ce principe existe toutefois si le contrat fait du permis de travail une condition préalable à l’engagement.
Le Tribunal fédéral a en outre estimé qu’en l’absence d’un permis de travail valable pendant la relation de travail, par exemple si une autorisation n’est pas prolongée, chaque partie peut résilier le contrat de travail pour de justes motifs si les conditions prévues par la loi sont remplies. En l’espèce, le Tribunal fédéral a conclu que l’employeur n’avait pas de raisons justifiées de refuser de fournir une assistance administrative en vue de l’obtention du permis de travail frontalier. il n’y existait pas de motifs rendant la poursuite de la relation de travail déraisonnable pour l’employeur.
Le licenciement avec effet immédiat a ainsi été considéré comme injustifié.
Résiliation immédiate et congé-soupçon : arrêt du Tribunal fédéral du 5 avril 2022 (4A_365/2020)
En juin 2008, une banque a engagé un salarié en tant que gestionnaire d’investissement et l’a ensuite promu au rang de directeur. En 2013, les parties ont convenu d’une durée minimale de la relation de travail pendant laquelle aucune des parties ne pourrait y mettre fin, sauf pour un motif valable, et de l’octroi d’un bonus à la condition expresse que l’employé reste au service de la banque pendant toute la durée minimale soit jusqu’au 30 juin 2016.
Le 5 novembre 2015, la banque a été informée que l’employé avait approché cinq membres de son équipe et tenté de les convaincre de mettre fin à leur relation de travail pour rejoindre un concurrent. Le 6 novembre 2015, la banque a résilié le contrat de travail avec effet immédiat pour justes motifs.
L’employé a soulevé plusieurs prétentions fondées sur une résiliation immédiate injustifiée. Le Tribunal cantonal a jugé que le licenciement était abusif car la banque n’avait pas pris le temps de vérifier la véracité de la dénonciation.
Selon la jurisprudence, le licenciement immédiat pour justes motifs doit être appliqué de manière restrictive et seule une faute particulièrement grave peut justifier une telle mesure. Sur la base de soupçons, un licenciement est justifié si l’employeur parvient par la suite à prouver que les soupçons étaient fondés et que la relation de confiance était irrémédiablement rompue.
Le Tribunal fédéral a estimé que la banque aurait dû entendre l’employé. Toutefois, il a également conclu que la cour cantonale ne pouvait pas se limiter à constater que les conditions d’un licenciement immédiat sur la base de simples soupçons n’étaient pas remplies. Elle devait au contraire également examiner les faits. Le Tribunal fédéral a donc admis le recours et renvoyé l’affaire au tribunal cantonal pour complément d’instruction.
Congé abusif (employé proche de l’âge de la retraite) : arrêt du Tribunal fédéral du 1er février 2022 (4A_390/2021)
En 1993, une employée suisse a d’abord travaillé comme traiteur, puis comme caissière et assistante de kiosque. À partir de 1996, elle est devenue secrétaire et assistante de direction dans la même entreprise. La salariée a signé un nouveau contrat de travail, confirmant son emploi en tant qu’assistante de direction à temps plein pour une durée indéterminée. Deux certificats de travail intérimaires montrent que l’employeur était pleinement satisfait du travail de la salariée.
Lorsqu’un nouveau directeur a été nommé, il a exigé des horaires de travail stricts, s’écartant de l’emploi du temps habituel de la salariée, et ne l’a plus invitée aux réunions de coordination avec les membres du conseil d’administration. L’état de santé de la salariée s’est dégradé. Après un an d’incapacité de travail, l’employeur a demandé à la salariée, par lettre recommandée, de lui restituer les clés et tous les autres accès au lieu de travail, en précisant qu’il ne s’agissait pas d’un licenciement. Un mois plus tard, l’employeur a résilié les rapports de travail pour des raisons organisationnelles avec effet au 31 mars 2016. En janvier 2017, l’employée a atteint l’âge de la retraite.
En droit suisse, un contrat de travail conclu pour une durée indéterminée peut être librement résilié par l’une ou l’autre des parties. Toutefois, le droit fondamental de chaque partie contractante de résilier unilatéralement le contrat est limité par les dispositions relatives au licenciement abusif.
Le Tribunal fédéral avait déjà jugé abusif le licenciement d’un employé de 63 ans quelques mois avant l’âge de la retraite, après 44 ans de service. Cependant, le Tribunal fédéral avait eu l’occasion de rappeler que ce cas précis était exceptionnel, voire extrême, et qu’il convenant de enir compte de toutes les circonstances d’un cas particulier et pas seulement de l’âge de l’employé pour décider si un licenciement était abusif ou non. Par ailleurs, après la période de protection contre les résiliations en temps inopportun pour cause d’incapacité de travail, il est permis à l’employeur de licencier un salarié en raison d’une maladie qui altère ses performances.
Dans le cas présent, le Tribunal fédéral a jugé que le licenciement n’était pas abusif.
Licenciement abusif (résiliation de mauvaise foi) : arrêt du Tribunal fédéral du 5 août 2022 (4A_157/2022)
Une salariée travaillant à temps partiel a été autorisée à occuper un emploi secondaire dans une autre entreprise pour une période limitée à quatre mois et demi. Deux ans plus tard, la salariée a été informée qu’une enquête interne serait ouverte en lien avec son emploi secondaire, à la suite de quoi elle a mis fin à cet emploi. Par la suite, la charge de travail de la salariée a été augmentée à temps plein d’un commun accord. Deux mois plus tard, l’employeuse a mis fin au contrat de travail de la salariée.
Le litige portait sur la question de savoir si le licenciement de l’employée, après que l’employeuse avait prétendu de manière déloyale une volonté de poursuivre la relation de travail, était abusif.
Le Tribunal fédéral a estimé qu’en principe, la protection matérielle contre le licenciement abusif dépend du motif du licenciement. Toutefois, l’abus peut également résulter de la manière dont la partie qui résilie exerce son droit. Même si une partie résilie le contrat conformément au droit, elle doit respecter l’exigence d’exercer son droit avec respect ; en particulier, elle ne peut pas violer le principe de bonne foi. Une violation grave des droits de la personnalité dans le cadre d’un licenciement peut ainsi rendre la résiliation abusive. En revanche, le fait que l’employeur ne se comporte pas de manière correcte ne suffit pas à faire apparaître le licenciement comme abusif.
En l’espèce, le Tribunal fédéral a nié tout caractère abusif du licenciement. Les juges ont conclu que l’employeur n’avait pas faussement prétendu poursuivre la collaboration en acceptant une augmentation de la charge de travail. Au contraire, il devait être clair pour l’employée que l’enquête interne était toujours en cours et qu’un licenciement entrait toujours en ligne de compte.
4.4 Accord de résiliation
Concessions réciproques et délais de réflexion : arrêt du Tribunal fédéral du 21 septembre 2022 (8C_176/2022)
Dans cette affaire, qui concernait une relation de travail régie par des règles de droit public, un accord avait été signé entre l’employé et ses supérieurs concernant la résiliation de la relation par consentement mutuel. L’accord prévoyait, entre autres, la libération de l’employé de son obligation de travailler avec continuation du versement de son salaire. L’employé a demandé l’invalidation de l’accord au motif qu’il l’avait signé sous la contrainte, puisqu’il n’avait bénéficié que de deux jours de réflexion. À la suite d’une enquête interne, l’employeur a constaté qu’aucune contrainte n’avait été exercée. Le salarié a insisté sur le fait que l’accord n’était pas valable et a demandé à être réintégré. L’employeur a pris une décision formelle confirmant la validité de l’accord.
L’employé a recouru devant le Tribunal administratif fédéral pour demander sa réintégration et l’invalidation de l’accord de résiliation. Subsidiairement, il a conclu au versement de deux ans de salaire à titre de dédommagement. Le Tribunal administratif fédéral a rejeté le recours.
Le Tribunal fédéral a estimé qu’un accord par lequel l’employeur public et le fonctionnaire mettent fin à la relation de travail par consentement mutuel est un contrat de droit administratif, qui doit être interprété selon les mêmes règles qu’un contrat de droit privé. Lorsque la volonté commune des parties de mettre fin à la relation de travail est établie, la jurisprudence exige en outre que l’accord soit une véritable transaction, comprenant des concessions réciproques d’importance comparable de la part de chaque partie.
Dans cette affaire, le salarié avait négocié le paiement d’un salaire mensuel supplémentaire. Il a donc été jugé que le fait d’avoir entamé des négociations et d’avoir reçu une contre-proposition, qu’il a acceptée, démontrait sa volonté de mettre fin à la relation de travail dans les conditions prévues par l’accord. En outre, les deux parties avaient fait des concessions ; rien n’indiquait donc que l’accord ne profitât qu’à l’employeur. Le recours de l’employé a dès lors été rejeté par le Tribunal fédéral.
4.5 Licenciement collectif
Existence d’un établissement indépendant : arrêt du Tribunal fédéral du 18 juillet 2022 (4A_531/2021)
Après s’être vu notifier la résiliation de son contrat de travail, une salariée a introduit une demande d’indemnisation pour licenciement abusif. Elle soutenait que l’employeuse n’avait pas respecté la procédure en matière de licenciement collectif. La question était de savoir si l’office de poste où elle était employée constituait un établissement indépendant au sens des règles spécifiques du CO en matière de licenciement collectif. Dans l’affirmative, le seuil de déclenchement de la procédure de licenciement collectif n’était pas atteint. Selon l’employée, il n’y avait pas d’indépendance, mais l’établissement devait être défini au niveau national, ce qui entraînait l’applicabilité des règles relatives au licenciement collectif.
Les deux instances cantonales ont rejeté la demande, partageant l’avis de l’employeuse selon lequel chaque bureau de poste constitue un établissement indépendant. Même s’il n’était pas complètement autonome, le bureau de poste avait plusieurs employés, sa propre structure organisationnelle et ses propres compétences, et il était en mesure de gérer de manière indépendante la plupart de ses opérations, telles que la gestion quotidienne de ses employés, les commandes de fournitures, la comptabilité du bureau et la sécurité, afin de s’acquitter de ses tâches. Le fait que l’entreprise employeuse dispose ou non d’autres établissements géographiquement proches les uns des autres n’était pas déterminant pour l’appréciation de la notion d’établissement au sens des règles en matière de licenciement collectif. Par conséquent, les licenciements dans chaque bureau de poste devaient être comptabilisés séparément.
Pour ces raisons, il a été jugé que l’employeuse n’était pas obligée de suivre la procédure de licenciement collectif, de sorte que le licenciement n’était pas abusif.
5. Perspectives et conclusions
Il n’y a actuellement aucun projet législatif important en cours qui aurait un impact sur les règles de procédure applicables aux litiges en matière de droit du travail. Il convient cependant de noter qu’une révision du code de procédure civile suisse entrera en vigueur le 1er janvier 2025, laquelle aura un impact sur les litiges de droit du travail qui pourront être soumis aux tribunaux après cette date.
Nous nous attendons à ce que les litiges continuent à se concentrer sur des questions telles que la cessation d’emploi, que ce soit pour une prétendue injustice ou un licenciement injustifié sans préavis, au cours des 12 prochains mois. Nous constatons une tendance à l’utilisation par les parties d’accords de résiliation mutuelle dans le contexte de la résiliation des rapports de travail. Cette tendance est susceptible d’entraîner une augmentation des litiges concernant l’exécution de ces accords. Dans ce contexte, la question de savoir si l’accord a été conclu dans l’intérêt des deux parties et si des concessions mutuelles ont été faites sera probablement déterminante.
Il ne fait aucun doute que les tribunaux auront encore à traiter des litiges liés aux certificats de travail, qui restent très importantes pour les salariés lorsqu’ils déposent leurs candidatures pour un nouvel emploi. Toutefois, ces litiges sont souvent résolus en première instance, si ce n’est plus tôt, soit au stade de la conciliation déjà.
[1] Cette contribution est une traduction française de notre contribution parue dans le fascicule The Law Reviews: The Labour and Employment Disputes Review, 6th edition, Switzerland, publié au mois d’août 2023.