Montreux : la stabilité des plans d’affectation à l’épreuve de la volonté populaire


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Le projet immobilier des Grands-Prés illustre de manière exemplaire la tension croissante entre la stabilité des plans d’affectation et la prise en compte de la volonté populaire en matière d’aménagement du territoire.

Depuis plus d’une décennie, ce vaste terrain d’environ 2,5 hectares situé au cœur d’une zone verdoyante, est au centre d’un débat opposant autorités communales, promoteurs, associations de protection de l’environnement et citoyens.

Le 13 août 2025, le Tribunal fédéral a rendu un arrêt1 mettant un terme à cette saga : il a annulé le permis de construire délivré en 2022 pour un ensemble de 232 logements. Cette décision marque un tournant majeur non seulement concernant le projet montreusien, mais plus largement la pratique de la planification locale en Suisse.

Pour mémoire, la commune de Montreux avait adopté en 2017 un plan partiel d’affectation (PPA) autorisant la construction sur ce site, dans le prolongement du nouveau plan général d’affectation (nPGA) de 2007. Toutefois, ce nPGA a été annulé en 2020 par le Tribunal fédéral2 au motif qu’il surdimensionnait les zones à bâtir au regard des exigences de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire (LAT).

En 2023, la population de Montreux a adopté à 71 % l’initiative populaire « Sauver les Grands-Prés », demandant la reclassification du site en zone de verdure3. C’est dans ce contexte que la Haute Cour a été amenée à statuer.

Motivation de la décision

Saisi par l’association Helvetia Nostra et plusieurs riverains, le Tribunal fédéral a jugé que la délivrance du permis de construire octroyé en 2022 reposait sur une base légale devenue caduque et contraire à l’évolution du contexte de planification. Les trois arguments principaux qui ont été développés sont les suivants.

Une base de planification devenue obsolète

Notre Haute Cour a relevé que le PPA « Les Grands-Prés » s’appuyait sur un plan général d’affectation annulé par elle-même en 2020. En conséquence, la validité du PPA et, par ricochet, du permis de construire, ne pouvait être maintenue sans réexamen approfondi. Les juges rappellent ici le principe fondamental selon lequel une planification doit s’inscrire dans un cadre légal et factuel stable et conforme au droit fédéral, conformément à l’art. 21 LAT.

L’impact déterminant de l’initiative populaire

L’arrêt en question souligne que l’acceptation de l’initiative communale « Sauver les Grands-Prés » constitue un changement de circonstances majeur au sens de l’art. 21 al. 2 LAT. Ce changement impose de reconsidérer la planification initiale et rend illicite la délivrance de nouvelles autorisations fondées sur des plans devenus incompatibles avec la volonté populaire.

Sur ce point, le Tribunal fédéral adopte une approche pragmatique, conciliant sécurité juridique et démocratie locale en admettant que la stabilité des plans d’affectation ne peut primer sur l’intérêt public découlant d’une modification démocratiquement décidée du régime d’affectation.

La prise en compte des valeurs naturelles et paysagères

Dans son argumentation, l’arrêt met également en avant les valeurs naturelles du site (vergers, prairies, arbres protégés, corridor faunistique) et leur importance pour la qualité de vie urbaine et la biodiversité. Ces éléments doivent être pris en compte dans la pesée des intérêts, conformément à l’art. 3 LAT et à la jurisprudence constante sur la protection du paysage1.

Ainsi, même si le projet de construction litigieux respectait formellement les normes constructives, il se heurtait à un intérêt public supérieur de préservation écologique et paysagère.

Conséquences pour le projet des Grands-Prés

Sur le plan immédiat, l’arrêt du 13 août 2025 annule le permis de construire délivré en 2022. Aucune construction ne peut donc être entreprise sur la base de cette autorisation. La Municipalité de Montreux est désormais tenue d’intégrer la décision populaire de 2023 et de réviser sa planification communale. Concrètement, le site devrait être reclassé en zone de verdure ou en parc public, conformément au texte de l’initiative.

Pour les promoteurs et investisseurs, cette décision illustre l’importance d’une analyse préalable du risque de planification et politique. Les procédures de construction reposant sur des plans d’affectation anciens ou contestés doivent être réévaluées au regard des évolutions du droit fédéral et des dynamiques locales.

La jurisprudence des Grands-Prés renforce donc le principe que la sécurité juridique des plans d’affectation n’est pas absolue. Elle peut céder le pas lorsque des intérêts publics prépondérants, tels que la protection de l’environnement ou l’expression démocratique, l’exigent.

Cette position rejoint d’ailleurs la doctrine majoritaire, qui admet que le principe de la stabilité des plans doit être relativisé en présence de circonstances nouvelles2.

Impact de la volonté populaire

L’arrêt des Grands-Prés s’inscrit dans une tendance plus large : l’essor des initiatives citoyennes communales et cantonales qui visent à influencer directement la planification du territoire.

En reconnaissant la portée d’une initiative populaire adoptée postérieurement à la planification, le Tribunal fédéral opère un rééquilibrage : la démocratie locale ne peut être réduite à un simple correctif symbolique.

Cette jurisprudence se rallie à la ligne dégagée dans d’autres récentes décisions3, selon laquelle les communes disposent d’une marge de manœuvre importante pour adapter leur planification aux attentes de la population.

Par conséquent, la décision fédérale invite les autorités et les acteurs du secteur à adopter une approche plus dynamique de la planification. Les plans ne doivent pas être conçus comme des instruments figés, mais comme des cadres évolutifs, capables d’intégrer les exigences environnementales et sociétales nouvelles.

Pour les maîtres d’ouvrage, cela suppose de renforcer la concertation précoce avec la collectivité et d’anticiper les risques liés aux initiatives populaires lesquelles de plus en plus souvent redéfinissent les priorités territoriales.

Et l’avenir ?

L’arrêt du 13 août 2025 constitue un jalon important dans la jurisprudence fédérale sur l’aménagement du territoire puisqu’il marque non seulement la fin d’une longue bataille juridique locale, mais sans doute également le début d’une nouvelle ère pour la planification et la construction. Il rappelle également que la planification doit demeurer vivante, elle ne saurait figer un territoire dans des choix dépassés ni ignorer la voix des citoyens lorsqu’elle s’exprime clairement.

Cette affaire est riche d’enseignement pour les acteurs de la construction et appelle à un repositionnement stratégique, à savoir anticiper les aléas liés à la planification, intégrer la participation citoyenne et les enjeux environnementaux dès la conception et enfin combiner rigueur juridique et flexibilité opérationnelle.

Mais au-delà du secteur, c’est aussi une question qui touche à la gouvernance territoriale : comment concilier le rendement économique urbain, la densification immobilière et la protection des espaces naturels et de la biodiversité ?

À l’avenir, il sera intéressant de suivre comment la commune de Montreux mettra en œuvre l’initiative acceptée et comment elle inscrira la parcelle des Grands-Prés dans un nouveau schéma d’aménagement.


1 Arrêts 1C_200/2024 et 1C_208/2024.

2 Cf. ATF 146 II 289.

3 Cf. notre article Le principe de la stabilité des plans d’aménagement remis en question par des initiatives populaires – le projet Les Grands-Prés à Montreux en forme d’exemple publié le 19 octobre 2023 (https://www.mll-news.com/le-principe-de-la-stabilite-des-plans-damenagement-remis-en-question-par-des-initiatives-populaires-le-projet-les-grands-pres-a-montreux-en-forme-dexemple/?lang=fr).  

4 cf. notamment ATF 139 II 134 consid. 5.1 et ATF 145 II 302 consid. 4.3.

5 cf. R. Hottelier, La stabilité des plans d’affectation et ses limites, in RDAF 2020 I 525 ss ; J.-B. Zufferey, Droit de l’aménagement du territoire, 3e éd., 2021, p. 422 ss.

6 cf. notament ATF 147 I 173 consid. 6.2 ; ATF 148 II 49 consid. 4.1.


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